Tous en 4G, tous surveillés ?
Rédigé par Hélène MARCY le . Publié dans Numérique.
Dans le cadre du plan « Essentiels 2020 », les personnels d’Orange SA sont désormais équipés d’un mobile 4G. « Tous en 4G » permet à chacun de disposer d’un outil professionnel de dernière génération et de développer son expertise d’usage des outils numériques. Mais ce nouvel outil conduit à une fusion des usages pro et perso du mobile, qui comporte de nombreux risques pour les personnels.Manque de maîtrise du sujet par la Direction ou déloyauté délibérée ?
Télécharger le tract en pdf : Tract tous en 4G def.pdf
Définir « l’usage raisonnable »
La convention d’utilisation d’un terminal mobile 4G que chaque bénéficiaire de l’opération « Tous en 4G » s’engage à respecter mentionne que l’utilisation personnelle du forfait (voix, SMS et Internet) est tolérée, dans la limite d’une « utilisation ponctuelle et temporaire », et d’un « usage raisonnable ».
Le « Guide des bonnes pratiques » que chaque bénéficiaire d’un mobile 4G est censé respecter est par ailleurs… introuvable derrière le lien figurant dans le texte de la convention !!
Mise à jour avril 2017 : la convention a été mise à jour et le guide est désormais accessible sur l'intranet 100% pratique :
- Convention d’utilisation d’un terminal mobile professionnel fourni par l’Entreprise
- Guide de bon usage des équipements mobiles
L’« usage raisonnable » n’est pas quantifié, et crée une insécurité pour les personnels
La Direction ouvre ainsi la possibilité d’utiliser un motif d’usage abusif du téléphone pour procéder à un licenciement ou à une révocation.
La jurisprudence ouvre la porte au licenciement Est justifié par une faute simple le licenciement du salarié ayant passé des appels téléphoniques en dehors des horaires de travail avec le téléphone portable mis à sa disposition par l'employeur (CA Paris 2 juillet 2008, n° 06-13085). N’est pas justifié le licenciement motivé par l’usage abusif du téléphone portable alors qu'une utilisation privée était largement tolérée dans l'entreprise et que le salarié n'avait pas fait l’objet d’une mise en garde ni même de remarques préalables (Cass. soc. 1er février 2011, n° 09-42.786). |
Néanmoins, il sera difficile à un opérateur télécom de démonter le préjudice matériel :
- le coût des communications ne constitue pas une dépense réelle, mais un coût marginal (sauf avec l’étranger) ;
- il a toute latitude pour bloquer les usages qu’il considèrerait comme non pertinents ;
- les forfaits attribués incluent la voix, les SMS, MMS et le wifi Orange en illimité (pour les personnels qui détenaient déjà un mobile professionnel, la Direction a indiqué que tous seraient basculés d’ici fin décembre 2015 sur un forfait Performance entreprises intense).
La CFE-CGC Orange demande à la Direction de s’engager par écrit à limiter toute sanction au paiement par le salarié du dépassement de forfait engendré par un usage personnel « abusif » démontré de son mobile professionnel, et d’exclure toute procédure de licenciement ou de révocation pour ce motif.
Respecter les données privées
La convention d’utilisation d’un terminal mobile 4G mentionne également qu’ « Orange s’engage à respecter votre vie privée et à ne pas utiliser les données à caractère non professionnel identifiées comme telles dont elle pourrait avoir connaissance. »
La formulation est floue, et la jurisprudence contraignante pour les personnels : pour être certain que vos SMS privés ne puissent pas être utilisés contre vous, il faut inscrire "personnel" ou "perso" dans vos messages (comme pour les mails).
La Cour de cassation a récemment rendu un arrêt (10 février 2015- Cass. Com., 10 févr. 2015 n°13-14.779) qui donne aux SMS échangés sur les téléphones portables mis à disposition par les employeurs une présomption de "caractère professionnel". |
Notons également, comme l’a souligné Jean-Christophe Dugalleix, expert judiciaire, dans le cadre de l’Université d’été de la CFE-CGC Orange, que toutes les « métadonnées » (ou « big-data ») sont également accessibles à l’employeur… et parfois beaucoup plus bavardes que le contenu même de vos messages (géolocalisation, url des sites auxquels vous vous êtes connecté, durée des communications et numéros des correspondants…)
La CFE-CGC demande à la Direction :
- de s’interdire explicitement tout accès, a fortiori toute capture, des contenus du terminal et des métadonnées associées à son usage
- de respecter strictement les obligations définies par la CNIL
Traitement des données et déclaration CNIL Le traitement des données relatives à l'utilisation du téléphone portable professionnel doit faire l’objet d’une déclaration préalable en application de la norme n° 47 issue de la délibération CNIL (Commission Nationale Informatique et Liberté) n° 2005-019 du 3 février 2005. Les finalités du traitement sont limitées à la gestion des moyens de communication et à la maîtrise des dépenses liées à l'utilisation des services de téléphonie. Les finalités relatives à l'écoute ou l'enregistrement des conversations téléphoniques ou la localisation d'un salarié à partir de son téléphone portable sont expressément exclues du champ d'application de la norme. La durée de conservation des données relatives à l'utilisation des services de téléphonie est limitée à un an. |
Respecter le droit à la déconnexion
Lorsque la sécurité des personnes est en jeu, l’expérience montre que la Direction d’Orange n’est pas aujourd’hui en capacité d’assurer le bon niveau d’information à ses personnels dans le respect de la préconisation N°19 du rapport Mettling (Compléter le droit à la déconnexion par un devoir de déconnexion). En effet, dans le cadre des récents attentats :
- le PDG d’Orange a adressé un mail à tous les personnels le samedi
- la Direction n’était pas capable d’adresser en urgence un SMS d’alerte aux personnels des bureaux d’Orange à St Denis pour les informer que le site était fermé pour raisons de sécurité mercredi 18 novembre.
Pour disposer des infos permettant de préserver sa sécurité, le personnel d’Orange devait… être connecté à son mail pro le week-end et avant sa prise de service du mercredi matin !
La CFE-CGC demande la mise en place de procédures adaptées pour assurer sans délai la sécurité des personnels en cas d’événement imprévu.
Fournir un mobile double SIM
L’analyse démontre que la fourniture de mobiles à double carte SIM (ou à défaut la fourniture d’un double numéro) serait beaucoup plus pertinente pour permettre aux personnels de mieux articuler vie professionnelle et vie privée :
- segmentation des appels entrants et sortants par l’utilisation du numéro approprié à l’usage professionnel ou privé, tout en conservant la praticité d’un terminal unique ;
- possibilité pour l’entreprise de proposer une offre salarié « intelligente » pour sa carte SIM personnelle (revoir nos propositions sur l’avantage téléphone), qui permettrait aux personnels de basculer sur leur SIM personnelle pendant leurs congés, notamment à l’étranger ;
- possibilité pour les collaborateurs de conserver leur numéro personnel lorsqu’ils quittent l’entreprise ;
- absence de contrôle, quel qu’il soit, sur les usages de la carte SIM personnelle, tandis que le numéro professionnel peut être paramétré sur les usages et forfaits définis comme utiles pour l’activité professionnelle du collaborateur, assurant la parfaite maîtrise économique du mobile pro.
La CFE-CGC demande la fourniture de mobiles double SIM, assortie d’une offre digne d’un opérateur leader, dédiée aux personnels d’Orange.
Mise à jour avril 2017 : il semble que des mobiles "dual SIM" soient ponctuellement proposés au catalogue des mobiles pro (actuellement le Sony Xperia XA)
Le monde numérique est très intrusif et englobant. C'est un vrai défi qui impose une réflexion approfondie des acteurs sur toutes les conséquences de leurs actes. La CFE-CGC ne peut pas croire qu’elle est la seule à y réfléchir, et demande à la Direction d’associer loyalement les représentants du personnel en amont de tout projet « digital ».