L.1480 : anti greenwashing numérique et nouvelles exigences
Rédigé par Romain Carbou - Claudine Rousseau le . Publié dans Responsabilité Sociale et Environnementale.
Les entreprises du numérique font régulièrement des promesses de décarbonation des autres secteurs de l’économie, avec parfois un optimisme déconnecté de la réalité.
La norme internationale L.1480 propose un véritable outil méthodologique constituant une réelle avancée. Elle permet d’évaluer objectivement un service numérique qui prétend décarboner une activité économique : elle tend à tout prendre en compte, les émissions de GES du service lui-même, celles évitées, ainsi que les éventuels « effets rebonds ».
Orange a largement participé à l’élaboration de cette norme.
La CFE-CGC Orange salue l’expertise et l’engagement de nos collègues d’Orange Innovation et de la Direction de la Stratégie qui ont porté ce projet. Le Groupe utilisera-t-il désormais cette méthode pour évaluer ceux de ses services portant une promesse de décarbonation, avant de les proposer à ses clients ?
Sous la dénomination de L.1480, quelle est la proposition de valeur ?
Pour faire face aux enjeux de la décarbonation, diverses méthodes de réduction des émissions peuvent aujourd’hui être mises en œuvre. Le secteur du numérique déclare viser une culture de la frugalité en son sein (« Green for IT ») et offrir des bénéfices aux autres secteurs économiques (« IT for Green »). Depuis quelques années, il s’est donc employé à montrer les bénéfices environnementaux supposément rendus aux autres secteurs de l’économie, souvent de façon trop optimiste.
Disposer d’un cadre normalisé pour quantifier les émissions évitées par un service numérique devenait donc une nécessité, pour permettre aux acteurs d’assumer pleinement leurs responsabilités et de préserver la crédibilité de leur communication sur le sujet : c’est l’objet de la norme L.1480.
Fin 2022, la norme L.1480 a été portée à l’ITU (International Telecommunications Union – Agence des Nations Unies) par Orange Innovation et la Direction de la Stratégie. Elle aide à la quantification de la décarbonation, en particulier pour les entreprises du secteur des Technologies de l’Information et de la Communication. Sa méthodologie repose sur une approche par scénarios qui permet de comparer les effets produits avec ou sans utilisation de la solution proposée.
Comme le précise le site Hello Future, « c’est une mesure exhaustive, incluant les effets, dits « rebond », des conséquences de l’usage des solutions TIC » : Mesurer l’effet rebond de l’usage des TIC - Hello Future Orange
Un outil puissant pour valider les affirmations « green » de certains services numériques
La L.1480 est une norme utilisable à titre totalement gratuit permettant d’identifier si une application est réellement susceptible d’éviter des émissions de GES.
En 2021, la communication d’Orange « Hello Future » valorisait les usages de la technologie 5G dans le port industriel du Havre, type « usine 4.0 ». L’enthousiasme technologique est légitime… mais nous participons ainsi à l’expansion du trafic maritime marchand, car « optimiser la gestion des flux de personnes et de biens », c’est favoriser leur accroissement (effet rebond). Ce dont l’opérateur portuaire se félicite d’ailleurs.
L’utilisation de la norme L.1480 permet de mieux évaluer ces effets, et de prendre des décisions plus éclairées en fonction des objectifs visés. Cette méthodologie normalisée est du reste régulièrement citée dans le cadre institutionnel et académique comme tout récemment dans le Référentiel général pour l’IA frugale (afnor.info).
Vers la transition Net Zéro ?
L’industrie du numérique représente à elle seule environ 4% des émissions mondiales de GES et de l’ordre de 2,5% en France. Les émissions de GES du numérique pourraient augmenter de manière significative si rien n’est fait pour en réduire l’empreinte, jusqu’à atteindre potentiellement, selon les scénarios, une hausse de plus de 300% en 2050 par rapport à la période de référence (2020).
Ceci place le « digital » face à ses responsabilités dans le dérèglement climatique et le respect de l’Accord de Paris.
Une feuille de route ambitieuse a été rédigée par la GSM Alliance (GSMA) : atteindre l’objectif « Net Zéro Carbone » à l’horizon 2040.
Orange est membre de ce consortium mondial des opérateurs mobiles et s’est inscrit dans cette dynamique avec un jalon intermédiaire dès 2030. L’objectif est de parvenir à une réduction de 45% de toutes les émissions directes comme indirectes (tous scopes confondus du bilan carbone, incluant donc l’ensemble de la chaîne de valeur amont et aval).
Le Groupe Orange a adopté ces objectifs, partagés par la plupart de nos concurrents directs.
Le « scope 3 » constitue la plus grande part de notre empreinte carbone, de l’ordre de 7 millions de tonnes/an, DEU Orange 2023 (chapitre 4.2.4).
Il recouvre les émissions situées en amont et en aval de l’activité d’Orange :
- d’une part, celles liées à nos fournisseurs (par exemple la fabrication d’un smartphone vendu en boutique)
- d’autre part, celles liées à l’utilisation de nos services par nos clients (par exemple la consommation electrique des Livebox ou d’un téléphone revendu en boutique).
C’est pour Orange, comme pour la plupart des entreprises, un énorme enjeu et un des plus difficiles à maîtriser, car il a forcément des impacts sur nos offres et nos modèles économiques.
Un devoir de cohérence
L’épuisement des ressources naturelles (y compris de métaux essentiels à la pérennité de nos activités d’opérateur), l’effondrement de la biodiversité terrestre et marine, la banalisation des records de chaleur et des catastrophes « naturelles » d’origine climatique, placent notre Groupe devant des responsabilités historiques :
- au sein de notre propre secteur, engager, au-delà des annonces, une véritable culture de la sobriété digitale afin de tenir nos objectifs Net Zéro Carbone ;
- auprès de nos clients, adopter une posture cohérente : il est peu compréhensible de promouvoir les mobiles reconditionnés d’un côté tout en participant aux opérations de consumérisme débridé de type « Black Friday » ;
- auprès des autres secteurs, cesser de célébrer l’innovation quand elle induit de l’effet rebond.
Nous serons, dans nos cœurs de métiers, « comptables » de chaque action qui induit, même indirectement, des effets non soutenables. La norme L.1480 constitue donc un outil précieux y compris pour Orange, qui contribuera à lutter efficacement contre le « greenwashing » dans notre secteur d’activité. Utile pour tous, y compris pour les investisseurs, qui disposeront d’informations « labellisées » pour valider des choix d’investissements responsables.
Pour celles de nos offres qui seront concernées, une obligation s’impose désormais : les tester dans le cadre méthodologique que nous avons nous-même contribué à inventer.
Dans un monde où citoyens et consommateurs deviennent conscients des enjeux, c’est un axe de différenciation précieux pour attirer et fidéliser des clients soucieux d’une consommation responsable.