Remise en cause du télétravail : la vraie question est « pourquoi ? »
Rédigé par Stéphanie CRESPIN le . Publié dans Conditions de Travail et Santé.
RAB : « rien à battre » pourrait-on blaguer, mais non c’est bien de « retour au bureau » dont il est question.
Le soufflet d’Amazon au visage du télétravail a créé un réel émoi dans le monde des entreprises. « Encore une avancée qui recule » aurait pu dire Coluche, mais les conditions de travail chez Amazon n’ont jamais été un modèle du genre et Amazon ne peut pas vraiment être considéré comme un parangon de vertu.
Nous ne rappellerons jamais assez que, sauf cas particulier, le télétravail n’est pas une obligation, mais pour ceux qui y ont recours, une réduction ou une suppression serait un retour en arrière très mal vécu.
En effet, selon certaines études (voir sources), 61 % des salariés affirment que le télétravail leur permet un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle, tandis que 54 % se sentent plus concentrés lorsqu'ils travaillent à domicile. 85 % des personnes interrogées plébiscitent la flexibilité des horaires, et 78 % souhaitent plus de liberté quant au lieu où ils travaillent.
Chez Orange, le télétravail reste massivement adopté.
60 % des femmes et 50 % des hommes télétravaillent avec un volume moyen de 9,75 jours/mois ; non seulement pour améliorer leur qualité de vie, mais aussi parce que les « campus » sont de plus en plus éloignés des zones résidentielles.
De leur côté, les médecins du travail constatent régulièrement dans leurs rapports annuels, que le télétravail est devenu, pour certains, un refuge face à des conditions de plus en plus dégradées.
« le télétravail tant décrié par la Direction demeure une échappatoire pour un grand nombre de personnes. Accuser le télétravail et l’organisation hybride d’être responsables d’une perte d’esprit collectif manque de profondeur. Il est de plus en plus clair que devant le manque de reconnaissance et le sentiment que les conditions de travail sur les sites sont dégradées ou destinées à l’être, les employés se concentrent sur leur travail à domicile car ils en maitrisent et apprécient parfaitement l’environnement. Ainsi se boucle un cercle vicieux, perdant/perdant », peut-on y lire.
Alors pourquoi s’attaquer au télétravail ?
- La productivité ?
88 % des salariés se considèrent aussi, voire plus, productifs en format hybride, et 77 % des employés de bureau déclarent accomplir davantage de tâches lorsqu'ils travaillent en hybride ou à distance*.
De plus, si le code du travail est orienté « moyens horaires », les cadres et dirigeants sont « câblés résultats ». Le RAB viendrait donc au soutien d’une stabilité sociale de la technostructure du groupe plutôt qu’à celui d’une efficacité économique. - Attirer les « talents » ?
D’après le rapport d'Owls Labs, le top 3 des avantages les plus attrayants pour attirer et fidéliser les talents sont : la semaine de quatre jours (39 %), les horaires flexibles (36 %) et une meilleure assurance santé (23 %). De plus, 30 % des personnes interrogées seraient prêtes à chercher un nouvel emploi offrant plus de flexibilité. * - Attirer les jeunes ?
79 % des répondants de la génération Z et des moins de 30 ans préfèrent la flexibilité des horaires de travail à n’importe quel autre avantage professionnel. * - Faire partir les autres ?
« Par la porte ou par la fenêtre » ? Plus besoin. La Direction le fait désormais à grand coup de plan social déguisé en « sauvegarde de l’emploi » … mais l’emploi de qui ? - La RSE ?
Quelle RSE ? Celle qui ferme les bureaux à Noël et au 14 juillet et renvoie tout le monde chez soi sans Ticket Restaurant ...? - Des économies ?
Oui mais sur quoi ? Peut-être la prime de télétravail justement ? Retournons en classe :
« soit : 40 000 salariés qui télétravaillent de manière régulière avec une prime de 120 ou 160 euros selon le nombre de jours et autant de tickets restaurant, calculez les économies réalisées par une entreprise etc., etc. » …
L’arbre ne cache-t-il pas la forêt ?
Piétinant allègrement les accords en cours, la Direction, à travers de douteuses méthodes remontées par nos collègues, refuse à tour de bras les demandes de renouvèlement d’avenants selon les règles de l’accord de 2013 et son avenant de 2017 . (Un bon lien vaut mieux qu’un mauvais quizz).
De plus, alors qu'il est clairement indiqué que ces derniers sont éligibles au télétravail « dans les mêmes conditions que les salariés à temps plein », la direction impose aux personnels à temps partiel, un prorata douteux : deux jours de présence sur site, qu’importe le nombre de jours travaillés : élégance, équilibre et équité.
Car ne nous y trompons pas, la plupart du temps, le temps partiel n’est pas choisi. Il est parfois adopté par les seniors en TPS et TPA, mais les principaux concernés sont le plus souvent les personnes en situation de handicap, en invalidité, les parents isolés ou encore des proches aidants, qui y ont recours par obligation, principalement pour des raisons de santé ou de gestion familiale.
Double peine donc pour nos collègues qui se voient encore discriminés parce que la Direction peine à lire et à compter.
Si le télétravail est devenu un point de crispation, il est aussi l’arbre qui cache la forêt. La forêt du mépris et du non-respect des accords, de la non-consultation systématique des Organisation syndicale et du dédain pour les personnels.
Nous ne pouvons alors que nous demander quel sera le prochain accord mis à mal par la Direction ?
Jeu de dupe et régression.
Pour finir, c’est bien ironiquement le télétravail qui a été l’alibi majeur de la Direction pour mettre en place le flex desk, jugé inacceptable par beaucoup, et rendu possible uniquement grâce à la mise en place du télétravail.
Nul doute qu’avec un ratio moyen de 6 bureaux pour 10, les personnels vont se tenir chaud. Y aurait-il aussi des projets d’économie de chauffage en vue ?
Dans un contexte où le retour au bureau est perçu comme une régression sociale, et où le télétravail est profondément ancré dans la vie des personnels, comment imaginer un retour en arrière sans ruiner l’engagement déjà fort mis à mal ? Pour quelles raisons les collaborateurs accepteraient-ils de revenir au bureau ?
Conviction ou coercition; une idée pour de futures négociations : les rapports cités révèlent que parmi les principales raisons, 48% le feraient si cela impliquait une augmentation de salaire…
A bon entendeur donc…
*Sources :