Le développement de l’Intelligence Artificielle va-t-il impacter les stratégies de neutralité carbone des opérateurs ?
Rédigé par Claudine ROUSSEAU le . Publié dans Responsabilité Sociale et Environnementale.
De plus en plus d’indicateurs montrent que l’Intelligence Artificielle Générative (qui crée de nouveaux contenus à partir de sollicitations en langage naturel) va engendrer de très fortes consommations additionnelles.
Besoins exponentiels d’énergie, extractions supplémentaires de ressources rares, consommations d’eau, effets sur la biodiversité, pollutions additionnelles, le développement de l’IA est un accélérateur d’émissions de Gaz à Effet de Serre et un facteur supplémentaire de pression sur les autres limites planétaires.
Cette croissance a des effets directs sur toute l’activité numérique et sur les acteurs qui y sont associés.
De manière très simplifiée, l’IA est organisée autour de 3 « phases » :
- la collecte des données,
- l’entrainement des algorithmes qui traitent ces données,
- les interactions avec l’IA lorsque des sollicitations sont effectuées par les consommateurs ou des appareils connectés
Orange est concerné, à la fois en tant qu’utilisateur de la technologie pour ses propres besoins, mais aussi en tant que fournisseur vers ses clients, dans le domaine professionnel et aussi grand public.
Le fonctionnement de l’IA et le développement industriel associé impactent fortement la matérialité du numérique
De manière générale, la matérialité du numérique est mesurée à travers les données, régulièrement actualisées, publiées par l’Arcep.
Le secteur du numérique pèse actuellement de l’ordre de 3 à 4% des émissions de Gaz à Effets de Serre mondiales, dont la répartition est décrite dans le graphique ci-dessous, issu des données de l’Arcep.
Le poids du secteur va s’alourdir du fait de sa progression, estimée dans différentes analyses, au moins de l’ordre de 5 à 6% par an.
L’étude de ADEME-ARCEP a mis en regard les 4 indicateurs de l’impact environnemental du numérique (1/empreinte carbone, 2/ressources utilisées, 3/consommation d’énergie, 4/consommation de métaux et de minéraux) et a estimé les progressions en 2030 et en 2050.
On voit que sur le scénario tendanciel étudié, les 4 indicateurs augmentent fortement, dont les ressources utilisées et l’empreinte carbone qui pourraient tripler en 2050.
Le développement généralisé de l’IA accentue encore les tendances déjà croissantes de l'empreinte carbone du numérique.
Un certain nombre de chiffres sont produits actuellement pour évaluer les incidences du développement de l’IA sur les impacts associés.
Selon GreenIT, l’empreinte de l’IA en Europe devrait augmenter de 20 à 25% par an dans la prochaine décennie.
Une autre estimation relayée par nature.com, établit que d’ici 2027, la consommation énergétique mondiale liée à l’IA pourrait être 10 fois supérieure à ce qu’elle était en 2023, soit à peu près autant que la consommation annuelle des personnes qui regardent la télévision dans les foyers américains.
On assiste à une course à la construction de datacenters toujours plus puissants.
Une question à ChatGPT consomme 10 fois plus d’énergie que lorsque la même question est posée sur le moteur de recherche Google.
Les GAFAM et les risques écologiques engendrés par le développement de l'IA
Les grandes entreprises technologiques sont très concernées par la question des répercussions du développement de l’IA : elles en sont à la base. Comme l’a récemment relayé Le Monde, pour le Directeur Général de Google, Sundar Pichai, « le besoin de calcul informatique pour l’IA a été multiplié par un million en 6 ans et il décuple chaque année ».
Amazon, Microsoft, Google et Meta (Facebook, Instagram) vont, en 2024, investir 200 milliards de dollars en nouvelles infrastructures, soit 45 % de plus qu’en 2023 a calculé le cabinet d’analyse de marché Bernstein Research.
Alimentées par le prix des processeurs spécialisés (plusieurs dizaines de milliers de dollars pour une puce (« graphics processing unit », GPU) du leader Nvidia), les dépenses en serveurs dédiés à l’IA vont, selon ces analystes, quintupler entre 2022 et 2025, passant de 25 à 125 milliards de dollars par an.
Chaque géant de la Tech rivalise en annonces sur ces investissements collossaux.
Les informations sur les répercussions, notamment environnementales de ces « nouvelles sources de croissance » se font, elles, plus discrètes malgré quelques éléments fournis sur ces questions comme par exemple les récentes annonces de Microsoft et de Google.
En termes de besoins énergétiques accrus, Microsoft a annoncé le 20 septembre 2024 investir dans le chantier de réouverture de la centrale de Three Mile Island avec un objectif de réouverture pour 2028
Ce même acteur montre à l’aide d’un récent graphique qu’à mesure que ses investissements explosent, il s’éloigne de son objectif carbone.
Dans son dernier rapport environnemental , Microsoft a révélé que sa consommation mondiale d'eau a augmenté de 34 % entre 2021 et 2022 (soit plus de 2 500 piscines olympiques) ; une forte augmentation par rapport aux années précédentes que les chercheurs extérieurs lient à ses recherches sur l'IA.
De son côté, Google annonce également ne pas être en mesure de tenir ses engagements en matière de carbone.
L’entreprise estime une croissance de ses émissions de GES à +48% en 5 ans.
Google annonce que l’entreprise aura besoin d’eau, abondamment utilisée pour refroidir les équipements. Il rapporte pour 2023 une augmentation nette de sa consommation en eau de 17% de plus qu’en 2022.
Voir l’article de Reporterre : L’insoutenable coût écologique du boom de l’IA (reporterre.net)
Malgré les chiffres avancés, certains de ces grands acteurs comme Meta et Apple n’hésitent cependant pas à engager des bras de fer avec l’Europe en suspendant en septembre dernier le lancement de leur assistant d’IA dans les 27 pays de l’UE, invoquant “des décisions de régulation incohérentes” de la part de Bruxelles.
Les rapports de force sont constants, dans ces économies dominées par les US et par la Chine.
Dans le cadre d’une planification orchestrée, il semble évident que les nations auront des choix à faire entre privilégier l’énergie dans les secteurs des transports, de l’aménagement des territoires, de l’industrie ou de tout autre secteur dans lequel énergie et matières premières seront nécessaires.
RTE a étudié un certain nombre de scénarios permettant de tenir compte des besoins des secteurs et du fait d’utiliser une énergie décarbonée.
Pourquoi ces questions nous concernent chez Orange ?
De manière générale, l'intensité carbone moyenne de l'activité de tous les acteurs de la chaine de valeur associée au numérique va être impactée par l’accès aux services de l’IA.
Pour les opérateurs de télécommunications, la neutralité carbone implique de surmonter des défis complexes, en particulier sur le scope 2 (consommation énergétique des infrastructures, réseaux et datacenters) et sur le scope 3 (émissions indirectes notamment utilisation des services par les clients).
Notre secteur d’activité est directement impacté.
Face à l’ensemble de ces défis, les entreprises du numérique vont devoir de manière choisie ou à marche forcée accélérer leur transformation.
Des initiatives comme le Référentiel général pour l’IA frugale auquel certaines équipes d’Orange ont participé portent de nouvelles approches.
Ce référentiel est un guide pratique pour évaluer l’impact environnemental des systèmes d’IA et promouvoir les bonnes pratiques.
AFNOR Spec AFNOR SPEC 2314
Le guide en résumé : https://greentechinnovation.fr/storage/2024/06/Referentiel-general-pour-lIA-frugale.pdf
La CFE-CGC Orange salue les initiatives des salariés et s’associe à la diffusion des informations pour favoriser les usages raisonnés de l’IA, dans le cadre de sa démarche d’information et de mobilisation autour des sujets RSE.
De manière générale, il paraît nécessaire d’inciter à des usages numériques plus sobres et de se préparer à des transformations de modèles.
Il est important que les médiateurs sociaux comme la CFE-CGC Orange s’emparent du sujet et soient demandeurs d’éclairages sur la position de l’entreprise sur les questions autour de l’IA et des conséquences associées, qu’elles soient économiques, environnementales ou sociales.