La souffrance au travail devient une priorité nationale - Le Nouvel Observateur
Rédigé par Arnaud Chancerelle le . Publié dans Dans les médias.
Ils se sont suicidés dans une agence bancaire, un bureau d’étude ou une centrale nucléaire. Ils sont les dernières victimes d’un nouveau mal du siècle : le stress qui tue. Course à la productivité et isolement des salariés sont responsables de ce fléau mis en évidence, cette semaine, par un rapport officiel….
...Depuis quelques mois la liste s’allonge. Trois suicides chez Renault, six chez PSA, quatre à la centrale nucléaire de Chinon, un à la Poste, un à la BNP… Et le travail, le stress, la souffrance professionnelle sont désignés comme la cause déterminante du geste fatal. En 2001, grâce à la psychiatre MF Hirigoyen, les français découvraient le harcèlement moral, ces malveillances des petits chefs qui faisaient craquer leurs salariés. Près de 400 000 exemplaires vendus ! Depuis le mal s’est enraciné. Précarité de l’emploi, course inlassable à la productivité, mise au rebut des cadres… Plus de trente ans de restructuration économique, de réorganisation des entreprises et de rationalisation des tâches et des administrations, sont en passe de produire ce résultat alarmant….
...Outre les 2300 et 3600 décès par an- par suicide ou accident cardio-vasculaire l’INRS, considère que 400 000 maladies et 3 à 3,5 millions de journées d’arrêt de travail sont provoqués par le stress professionnel. Coût social estimé : entre 1,2 et 2 milliards d’Euros par an….
…selon l’INRS, ce nouveau mal du siècle frappe sans distinction toutes les catégories socioprofessionnelles. Dans notre pays, qui détient le triste record de la consommation de tranquillisants en Europe, le stress est devenu un enjeu de santé publique. A tel point que Xavier Bertrand, le ministre du travail s’en est emparé Il a commandé au statisticien P Nasse et au psychiatre P Légeron un rapport fondateur.
…Créer un indicateur statistique national du stress ; lancer une grande campagne de sensibilisation sur le sujet comme on l’a fait pour lutter contre le tabagisme ; confier à un nouvel organisme, le Conseil d’Orientation de Conditions de Travail, le pilotage du tout. Telles sont les propositions principales qu’ont remis le 12 mars au ministre du travail le psychiatre P Légeron et le Vice Président du Conseil de la Concurrence Philippe Nasse. Sans oublier l’État, qui dans ce domaine, selon les deux rapporteurs doit donner l’exemple dans la fonction publique. Les objectifs, faire en sorte que le danger au travail ne soit pas simplement aux yeux des Français, liés aux risques professionnels comme l’amiante.
Sortir du déni et de la stigmatisation, du genre « secoue-toi ! », quand la dépression est perçue, souvent le cas, comme une faiblesse. En finir aussi avec les débats dépassés, qui opposent encore les ergonomes et les psys. Les deux rapporteurs proposent également la création par l’État d’un site qui donnerait toute les informations de base sur la souffrance au travail, comme il en existe en Grande –Bretagne. Ils suggèrent aussi – ce que prévoit Valérie Pécresse, la ministre de l’Enseignement supérieur à la Recherche- de donner aux managers une formation initiale et continue sur la prévention, les symptômes du stress et les dégâts qu’ils provoquent, comme dans le pays anglo-saxons.
…L’annonce d’un plan de licenciement décuple la pression. « Les gens savent qu’il y aura 100 départs, mais ils ignorent sur qui ça va tomber », résume B Sahler, chercheur à l’Agence régionale pour l’Amélioration des Conditions de Travail à Limoges.
Un exemple ? France Telecom En 2005, la direction générale décide de supprimer 22000 postes en trois ans. « On pousse les salariés à la démission, on les mute, on les change de site, explique Pierre Morville, délégué central CFE-CGC qui a créé avec SUD-PTT, un « observatoire du stress et des mobilités forcées », contesté par la direction. « On les envoie dans un « espace développement » pour qu’ils un emploi ailleurs. Chez nous, la moyenne d’âge est de 50 ans. Évidemment, il n’y a pas de job pour eux. Qu’importe, chaque semaine, un petit chef leur dit : « T’as pas trouvé de boulot ! ».
Quand elle entre à France Telecom, en 1996, Eliane, 45 ans, est assistante de direction. Elle change de travail au fil de la fermeture des sites. En 2002, le poste d’assistante est supprimé. Elle atterrit dans un centre d’appels. C’est là qu’elle découvre qu’elle est un peu sourde. Comme tous les salariés des centres, le temps qu’elle passe à répondre aux clients est minuté. Sept secondes après la fin d’un appel, ça sonne de nouveau. Sa surdité s’aggrave. Le médecin du travail détecte une surdité congénitale. Mais Eliane est toujours déclarée « apte ». « Ici, c’est marche ou crève, dit-elle. Au téléphone, je sentais mon cœur battre dans mon oreille gauche. » Hypertension, gastrites, elle a de l’eczéma sur les pieds. En juin 2006, elle craque. Dépression. Quand elle revient, elle est élue déléguée du personnel CFE-CGC, et fait partie du comité hygiène et sécurité. Le soir elle a repris des études. Ils avaient cassé mon estime de moi. Là, je suis contente. » Mais ses plaques rouges ne s’effacent toujours pas…