Lettre de l'Epargne et de l'Actionnariat Salariés #hors série été 2023 : FCPE de reprise La Redoute : dans les coulisses de la "belle histoire"
Rédigé par Hélène MARCY le . Publié dans Participation, Intéressement et Actionnariat.
FCPE de reprise La Redoute : dans les coulisses de la "belle histoire"
En février dernier, la presse a abondamment relaté le « jackpot » (environ 100 millions d’euros) que se sont partagés un millier de salariés de La Redoute dans le cadre d’un FCPE de reprise. Pour en savoir plus, nous avons contacté Jean-Jacques Deleu, délégué syndical central CFE-CGC de La Redoute, qui nous a éclairés sur sa mise en œuvre.
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La nouvelle Redoute : née dans la douleur
L’entreprise était en difficulté depuis plusieurs années (baisse du CA d’environ 10% par an depuis 2010) et avait déjà fait l’objet de plusieurs plans de restructuration et de suppression d’emplois. Il y avait environ 5 000 salariés en 2006/2008, il n’en reste que 3 437 fin 2013, lorsque Kering (ex Pinault-Printemps-Redoute) indique vouloir vendre l’entreprise, avec une nouvelle restructuration à la clef.
En juin 2014, Kering annonce la cession de La Redoute et de Relais Colis à deux de ses dirigeants : Nathalie Balla, PDG de La Redoute, et Eric Courteille, secrétaire général de la maison mère de La Redoute (Redcats) et directeur financier. La vente est conclue pour un euro symbolique, Kering s’engageant à financer la transformation de l’entreprise : 315 millions pour la transformation, et 180 millions pour le volet social, qui comporte 1 178 suppressions de postes. Pour embarquer le personnel, les repreneurs s’engagent à ouvrir le capital de l’entreprise aux salariés volontaires.
FCPE de reprise : de quoi s’agit-il ?
Le FCPE (fonds commun de placement d’entreprise) de reprise a été créé par la Loi 2006-1770 du 30/12/2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salariés, assoupli par la Loi Pacte en 2019 (voir Art. L3332-16 du Code du Travail et les articles du Code monétaire et financier qui lui sont liés).
Il permet d’associer l’ensemble des salariés qui le souhaitent à la reprise de leur entreprise, par l’acquisition de parts détenues dans leur Plan Epargne Entreprise (PEE). Si les titres ainsi acquis ne sont pas cotés sur un marché réglementé, ils sont réévalués au moins une fois par an selon les modalités décrites dans l’Article L3332-20 du Code monétaire et financier (a minima sur la base de l’actif net figurant au bilan).
Les fonds sont bloqués jusqu’au terme de l’opération de rachat (au minimum 5 ans dans la Loi de 2006, 3 ans depuis la Loi Pacte). Au débouclage, les salariés porteurs de parts touchent l’argent correspondant à la valorisation actualisée des titres. Contrairement aux autres fonds présents dans un PEE ou PEG, les cas de déblocage anticipé pour les salariés sont limités à 3 : le décès, l’invalidité, le départ à la retraite. Les capitaux ainsi levés sont donc sécurisés pour l’entreprise.
Le fonds dispose d’un Conseil de surveillance dont les membres sont élus par les porteurs de parts, et qui exerce les droits de vote éventuellement associés aux titres détenus.
La mise en place d’un FCPER ouvre droit à un crédit d’impôt pour la société.
Il n’a été que très peu utilisé : La Redoute, première entreprise à le mettre en œuvre, et Carbone Savoie dans le dispositif initial de 2006, Les Zelles depuis sa réforme par la Loi Pacte.
Restructuration de l’entreprise
La réorganisation est conséquente. Fin du gros catalogue papier pour se recentrer sur la vente en ligne, et création d’un nouvel entrepôt logistique (Quai 30 à Wattrelos ouvre en 2016), qui permet la sortie des colis en 2h au lieu de 24h précédemment. L’entreprise se concentre sur la vente des produits de ses propres marques, développés par une équipe de designers « maison » et sur deux activités principales : l’univers de la maison (mobilier, déco, linge de maison avec la marque AMPM), qui représente désormais 70% des ventes (contre 40% précédemment), et la mode. Le site web héberge aussi une place de marché, accueillant entre 600 et 700 vendeurs, rigoureusement sélectionnés notamment pour leur qualité logistique (délais de livraison et gestion des retours clients), qui est un point clef dans la vente en ligne.
Ouverture du capital aux salariés
En tant que 1ère entreprise à utiliser le FCPER (Fonds Commun de Placement d’Entreprise de Reprise), La Redoute a mis près d’un an pour mettre son dispositif en place.
Le dispositif proposé aux salariés de La Redoute
- 16% du capital
- Valeur de la part : 10€,
avec possibilité de souscrire entre 50 et 160€ maxi - Abondement employeur : 200 %
- Blocage pendant 8 ans
- Valorisation des parts (non cotées) 2 fois / an
- Fiscalité d’un FCPE d’actionnariat salariés : en sortie, 17,2% de prélèvements sociaux sur les plus-values.
Le capital de New R est réparti comme suit :
- 51% pour les 2 dirigeants repreneurs
- 33 % pour 50 cadres dirigeants
- 16% pour environ 1574 salariés
Valorisation au moment du débouclage : 1,2 Mds €.
Un peu plus de la moitié des salariés y ont souscrit, essentiellement les cadres et agents de maîtrise du siège. Ceux de l’entrepôt logistique se sont montrés plus sceptiques, découragés par une CGT locale hostile au projet, qui n’a pas signé l’accord validant le plan de reprise et le plan social associé.
Comme le prévoit la loi, le FCPER a été doté d’un Conseil de surveillance, au sein duquel siégeaient 2 représentants CFE-CGC, réuni 2 fois par an pour faire le point sur la valorisation des parts. Le dialogue y était difficile : une confidentialité absolue [ndlr : contraire à la loi] était demandée aux représentants des personnels, qui ont eu des difficultés à obtenir des réponses à leurs questions, et pour lesquels la méthode de valorisation est de ce fait restée nébuleuse.
Au démarrage du plan, la valorisation des parts est restée relativement stable. Elle n’a vraiment décollé qu’à la fin de la période de blocage : les deux années de crise sanitaire ont boosté les ventes en ligne, et les résultats de 2020 et 2021 constituent des records historiques dans l’histoire de La Redoute. Les Galeries Lafayette ont racheté l’entreprise au plus haut de sa valorisation, ce qui explique le niveau exceptionnel de plus-value réalisée par les salariés souscripteurs : environ 100 000 € au débouclage pour 100 € placés en 2015. L’opération a été encore plus rentable pour les deux repreneurs, qui ont touché de l’ordre de 200 m€ chacun, et ont depuis quitté l’entreprise, remise entre les mains de deux dirigeants nommés par les Galeries Lafayette.
La nouvelle équipe souhaite poursuivre les collaborations croisées entre les deux enseignes, qui garderont chacune leur identité, et développer l’international.
Il reste 2 000 salariés dans la nouvelle Redoute
Au-delà de la « belle histoire » dont la presse et les gestionnaires d’épargne salariale se sont fait l’écho, n’oublions pas que l’opération s’est faite au prix d’un plan social (environ 2 000 préretraites étalées sur 4 ans + un PSE), et d’efforts conséquents pour les personnels qui ont participé au redressement. Il reste environ 2 000 salariés dans l’entreprise : 450 au centre logistique de Wattrelos, 1 000 au siège de Roubaix, 600 dans les magasins et à l’international.
Le plan d’épargne et d’actionnariat a été réorganisé pour s’harmoniser avec les pratiques existantes au sein du Groupe Galeries Lafayette. Les salariés La Redoute n’accèdent cependant qu’à un fonds d’actionnariat salariés spécifique, et pas à des actions Galeries Lafayette. Ils bénéficient de 700 € d’abondement par an pour les placements réalisés dans le Plan Epargne Entreprise.
Chronologie
12/2013 |
Annonce de la cession par Kering de La Redoute et de Relais Colis à deux de ses salariés. |
06/2014 |
Finalisation de la cession, après négociation d’un protocole d’accord avec les organisations syndicales, portant sur 1178 suppressions de postes, avec des départs étalés sur quatre ans, dont 700 départs contraints au maximum. |
04/2015 |
Mise en place du FCPE de reprise de New R (nouvelle holding rassemblant La Redoute et Relais Colis) : 16% du capital est proposé aux salariés. L’offre est souscrite par 1 574 salariés. |
08/2017 |
Galeries Lafayette annoncent l’achat de 51% du capital de La Redoute, avec l’engagement d’en acquérir 100% à terme (voir aussi Le Monde). L’opération est finalisée en 2018. L’entreprise est valorisée à 140 m€. Les deux dirigeants repreneurs peuvent faire valoir leur droit de cession du solde à partir de 2022. |
03/2022 |
Nathalie Balla et Eric Courteille quittent La Redoute. Philippe Houzé devient Président du Conseil de surveillance et Philippe Berlan Directeur Général. Cession définitive de Relais Colis (500 salariés) au Groupe Walden. |
06/2022 |
Galeries Lafayette annoncent racheter le solde du capital. L’entreprise est valorisée à 1,2 Mds € (12 fois l’EBITDA). La cession est effective en décembre 2022. |
12/2022 |
Débouclage du FCPE de reprise (fonds disponibles fin décembre), et les salariés actionnaires se partagent environ 100 m€ selon la presse, plutôt 160 m€ (avant prélèvements sociaux) selon le délégué syndical CFE-CGC. |