Droit à la vie privée sur Internet
Rédigé par Hélène Marcy le . Publié dans Communiqués de Presse.
Une proposition de loi insuffisante pour protéger la vie privée de nos concitoyens
Internet a bouleversé notre façon de voir le monde et continue à changer nos habitudes. Quelques événements récents nous rappellent que le droit à la vie privée devient essentiel pour le respect de la personne humaine. Le Sénat travaille actuellement une « proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l'heure du numérique ». Mais en dépit de son titre, le projet apparaît insuffisant pour offrir de vraies garanties, pourtant de plus en plus nécessaires pour les citoyens.Le citoyen devient "people" à son corps défendant
Tout le monde n'aspire pas à devenir un « people ». De nombreux citoyens refusent d'être présents dans les réseaux sociaux tels que Facebook, LinkedIn ou Viadeo, ou ne veulent y être que pour des raisons professionnelles. Pour autant, ce n'est pas si facile de maîtriser cette absence, ou cette présence très circonscrite. Qui n'a pas déjà été identifié sur une photo via Facebook à son insu ? Chaque citoyen devrait pourtant avoir le droit de refuser la publication de photos ou d'informations relatives à sa vie privée.
Les réseaux sociaux ne sont pas les seuls responsables. Google permet de retrouver beaucoup d'éléments sur une personne, et les fonctionnalités ne cessent de s'étendre, telles que la recherche d'images, ou pire encore, le nouveau service « buzz » qui a déjà piégé plus d'un utilisateur en révélant sans qu'il s'en aperçoive la liste de ses correspondants réguliers ou sa propre adresse de courriel[1]. Chaque blog devient également une source potentielle d'atteinte à la vie privée.
Faut-il se méfier de ses amis ? De sa famille ? C'est ce que l'on peut penser d'après l'expérience du chef du MI6, le fameux service secret britannique, dont la vie intime s'est trouvée exposée sur Facebook... par sa propre épouse[2].
En France ce sont les militants de l'UMP qui ont abusé des fonctionnalités proposées par le site du Mouvement Populaire : un habitant d'Escalquens s'est ainsi vu « incrusté » dans la vidéo d'un meeting politique auquel il n'avait pas participé[3].
Les activités d'un homonyme peuvent entacher votre réputation
Google on l'a vu permet très facilement de retrouver les traces laissées sur Internet par un individu. Mais que se passe-t-il en cas d'homonymie ?
On pourrait penser que les personnalités publiques sont protégées des risques de confusion. Mais les déboires d'Ali Soumaré pendant la dernière campagne électorale en Ile-de-France ont démontré le contraire[4] : certaines affaires judiciaires que ses adversaires lui attribuaient étaient le fait d'un homonyme.
Tout aussi désagréable, l'homonyme acteur pornographique[5], célèbre ou pas : une mésaventure qui peut arriver à n'importe quel citoyen.
Certes, le recours à la Justice permet de rétablir la vérité, voire de faire cesser les nuisances pour l'avenir. Mais dans la plupart des cas, la réputation de l'individu est salie, son « blanchiment » n'intervenant qu'a posteriori... et pas toujours avec le même écho médiatique.
Les recruteurs se font une opinion sur Internet
Le CV anonyme a pour vocation de protéger une partie de la population des préjugés des recruteurs. Mais dans le même temps, la vie privée des postulants à un emploi est passée au crible, et les traces Internet sont scrutées à la loupe par les chargés de recrutement.
Pour autant, les sénateurs n'ont pas cru nécessaire d'auditionner les représentants syndicaux de notre pays, alors que les représentants de Google ou Facebook l'ont été.
L'acquisition du site 123people.com par PagesJaunes est préoccupante
La semaine dernière Pages Jaunes a annoncé l'acquisition du site www.123people.com. Ce site web utilise des méthodes de référencement très contestables[6], agrégeant des données non fiabilisées sur les personnes. Les inexactitudes sont quasiment impossibles à corriger, sauf à ... s'inscrire sur le site, ce qui interdit donc à l'individu qui le souhaite de disparaître du web, dès lors que des données, mêmes erronées, remontent sur son nom.
L'association avec l'ancien monopole de l'annuaire téléphonique, réputé fiable et perçu comme tel, donnera à ce service des lettres de noblesse qu'il ne mérite pas, accroissant le risque d'entacher injustement la réputation des personnes. Enfin, est-il acceptable que de la publicité soit affichée à l'occasion de la recherche d'information sur une personne ? On imagine déjà les liens hasardeux entre certains noms et certaines marques, sans parler d'une dérive dangereuse vers une marchandisation des personnes !
L'internaute devra-t-il passer sa vie au Tribunal ?
Certes, l'arsenal juridique se renforce, et chacun peut faire valoir l'article 9 du Code civil pour atteinte à la vie privée, ou l'article 226-8 du Code pénal pour atteinte à la représentation de la personne.
Mais le citoyen devra-t-il se rendre au Tribunal tous les matins pour défendre son intimité et sa réputation ? Mettre en cause ses propres amis ? Et comment faire corriger lorsqu'on est cité sur le blog de quelqu'un qui n'est pas clairement identifié ? Ou qu'un homonyme publie des photos compromettantes sur un site hébergé à l'autre bout de la planète ? Sans parler des nombreux sites web qui se défaussent largement, et souvent au mépris de la loi, sur la responsabilité personnelle de leurs utilisateurs.
Tous les citoyens n'aspirent pas à devenir des « people ». Beaucoup d'entre eux souhaitent au contraire protéger leur vie privée. Doivent-ils pour autant s'abstenir de toute utilisation d'Internet ? Une hypothèse absurde, et d'ailleurs inefficace, l'exposition sur Internet pouvant être le fait d'un tiers.
L'usage d'Internet, de plus en plus intégré à tous les actes du quotidien, fait de l'identité numérique un vrai sujet de société, qui nécessite davantage qu'un simple toilettage de nos lois.
Une instance de médiation et de contrôle est sans doute nécessaire pour faciliter la protection du citoyen et l'application de la loi. Ce pourrait être la CNIL, qui dans ce cas devrait voir ses moyens renforcés, pour pouvoir exercer pleinement ses missions.
C'est pourquoi la CFE-CGC/UNSA demande la création d'une mission parlementaire, qui traite la question de manière approfondie, afin de proposer des mesures réellement protectrices pour chaque citoyen.[1] http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39712963,00.htm
[2] http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2009-07-05/grande-bretagne-le-futur-patron-du-mi6-s-exposait-sur-facebook/1648/0/358714
[3] http://www.rue89.com/regions-en-campagne/2010/03/19/votre-nom-et-votre-photo-dans-une-video-de-campagne-de-lump-143597
[4] http://www.latribune.fr/depeches/associated-press/ali-soumare-la-polemique-ne-desenfle-pas.html
[5] http://www.liberation.fr/actualite/010116553-la-star-du-porno-katsumi-condamnee-a-verser-20-000-euros-a-une-homonyme
[6] http://www.lesechos.fr/info/comm/300418706.htm?xtor=EPR-1001-[info+soir]-20100319 et http://www.lexpansion.com/economie/actualite-high-tech/ce-que-pagesjaunes-va-faire-de-123-people 228903.html?XTOR=EPR-175