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...Le malaise à France Télécom est la deuxième maladie de la rentrée, après la grippe.
A Troyes, un homme s'est planté un couteau dans le ventre, on venait de lui annoncer que son poste était supprimé.
A Marseille, Besançon, Lannion, Paris, même histoire. Des hommes se pendent ou avalent des médicaments; une jeune femme s'est jetée dans le vide. 23 morts depuis février 2008. 7 suicides depuis juillet. Au siège, on craint la contagion.
Après avoir mis le problème sur le compte de fragilités personnelles, la direction du groupe, sur forte pression de l'Etat, se mobilise. Car, depuis une semaine, l'image du fleuron des télécoms a du plomb dans l'aile.
Les langues des salariés se délient et livrent les récits du malaise.
Sébastien avait sa carrière devant lui
Sébastien se rappelle pourtant de sa fierté d'entrer à France Télécom, il y a vingt-cinq ans. Un diplôme d'ingénieur en poche et une belle carrière devant lui, tout le réseau était à construire.
Il a dirigé jusqu'à 200 personnes. Il a relevé des défis technologiques, participé à la constitution du réseau mobile. Cadre supérieur, il ne pensait pas qu'un jour il ne serait que l'ombre de lui-même.
Il se souvient très bien du moment où tout a basculé. C'était en 2006, un séminaire pour cadres. "On allait nous expliquer comment mettre sous tension nos collaborateurs. On a commencé par nous mettre sous les yeux la pyramide des âges, boursouflée autour des 50 ans", se souvient-il.
"Le problème, c'est vous"
L'animateur a dit : "Vous voyez où est le problème ? Le problème, c'est vous."
"La centaine de cadres réunis ce jour-là en a le souffle coupé. Les plus zélés s'en sortiront peut-être. A condition de suivre la méthode : "Vous devez travailler au corps vos équipes pour en faire partir le plus possible. Suggérez-leur des reconversions, par exemple ouvrir une chambre d'hôte ou un club de plongée. N'hésitez pas à les coincer sur les horaires ou à surveiller les mails et les communications téléphon...
...Pierre Morville, délégué syndical CFE-CGC, à l'origine de l'Observatoire du Stress et des Mobilités forcées, poursuit : "Et peu importe que l'Etat soit schizophrène : comme gouvernement, il prône l'employabilité des seniors, et comme actionnaire principal, il réclame sa part de dividendes."
Des thésards font des photocopies
Impossible, bien sûr, de désigner précisément ce climat comme cause des suicides. Mais le découragement s'est installé. On voit dans les bureaux des thésards pointus faire des photocopies et des polytechniciens servir le jus d'orange dans les réunions.
On met dans des boutiques des techniciens bourrus qui ne supportent pas l'idée de mentir un peu pour mieux vendre. Et l'on propose à Sandra, 51 ans, dont le service RH a été supprimé, un poste à 300 kilomètres de chez elle.
Les dos se courbent et les mines s'allongent. On n'ose pas parler, puisque, comme dit Sandra, "on ne sait pas trop qui va répéter au manager". Mais l'on voit bien. Des femmes éclatent en sanglots, des hommes se réfugient dans les toilettes ou à l'infirmerie pour craquer ; d'autres font des infarctus ou disent : je vais me foutre les doigts dans la prise.
Même les médecins du travail craquent
Il y a des crises de nerfs. Certains tiennent des propos incohérents, hachés à l'anxiolytique, en réunion. Les moments de malaise sont nombreux où, entre collègues, on se regarde peiné de ce qui arrive.
L'absentéisme est endémique, avec une moyenne de quatre semaines par salarié et par an ; les personnes qui viennent travailler sous antidépresseur aussi. Même les médecins du travail craquent : d'après les syndicats, sur 70 travaillant dans l'entreprise, une dizaine auraient démissionné, impuissants à soulager la souffrance....
Extrait : nouvelobs.com – 28/04/2011