« R&D : NOVA + et Open Innovation un nouveau risque social chez FT »
Rédigé par CIT santé le . Publié dans Conditions de Travail et Santé.
Le 16 février 2012 était présenté pour la première fois en CE un projet de réorganisation de la R&D de France Télécom Orange, projet destiné à améliorer l’innovation du Groupe (projet NOVA+). S’il est officiellement annoncé par l’entreprise que cette réorganisation ne doit modifier en rien les conditions de travail des salariés, toutes les équipes étant transférées à l’identique avec leur responsable N+1 dans la nouvelle organisation, quatre demandes d’expertises ont été demandées par les CHSCT de la nouvelle direction ITRSI et sont en cours de réalisation…
En effet, comme d’autres grands groupes internationaux France Télécom-Orange développe une stratégie d’Open Innovation ce qui ne peut pas être sans conséquence sur l’évolution de sa R&D et des métiers des acteurs de l’innovation. L’innovation n’est alors plus envisagée comme une démarche démarrant de la volonté de développer un produit prédéfini mais comme une approche visant à créer de la valeur à partir d’un ou plusieurs écosystèmes existants ou à construire. L’Open Innovation consiste à ouvrir le développement de l’innovation non plus seulement aux salariés de la R&D, ni même aux salariés du groupe, mais également aux clients, aux fournisseurs, à des communautés d’innovation spécialisées, à des universités, à la foule (crowdsourcing), voire même aux concurrents (coopétition).
Avec l’Open Innovation l’entreprise fait appel aux partenaires de son écosystème pour faire émerger la meilleure idée dans les délais les plus courts et au meilleur coût. Grâce à cette « innovation ouverte » l’entreprise peut solliciter une multiplicité de contributeurs potentiels dispersés à l’international sans réelles contraintes juridiques ou économiques à respecter. Grâce au crowdsourcing et aux concours d’idées sur internet, n’importe qui peut participer à la conception de nouveaux produits. Pour l’entreprise, l’open innovation constitue une manière économique et rapide d’améliorer ses capacités d’innovation. Dans un contexte de crise, le recours à ce modèle s’explique par le souci d’améliorer l’efficacité de la R&D. L’idée est de faire plus avec moins en partageant l’effort avec des partenaires, le budget alloué à l’innovation reste constant mais il est redéployé au profit des marchés les plus porteurs.
Mais cette évolution de l’innovation interroge le modèle économique choisi et se révèle à l’origine de conflits de valeurs et de la souffrance au travail des salariés de la R&D « car quand tout le monde réalisera des économies en payant des clopinettes l’expertise de professionnels dispersés ou les productions d’amateurs, qui paiera ces gens-là pour qu’ils vivent, produisent, se forment, réfléchissent et consomment ? Quand toutes les entreprises réduiront leur R&D interne pour acheter l’innovation ailleurs, qui investira le temps nécessaire à la recherche, à l’essai-erreur? Salarier quelqu’un, payer un professionnel, c’est aussi reconnaître la valeur du temps et accepter un risque – autrement dit : investir, ce qui reste l’un des fondements de l’acte d’entreprendre. Tout le monde peut-il indéfiniment externaliser le risque et l’investissement? Il y a des économies qui peuvent finir par coûter cher…"(Internet Actu 01/06/06).
Ainsi, alors que nos dirigeants font le choix de l’Open Innovation, modèle de recherche et développement fondé sur la coopération avec des partenaires extérieurs, France Telecom réduit ses effectifs de Recherche à 66 personnes sur les 3500 salariés en poste actuellement à la R&D. Cette évolution entraînera une modification des métiers des chercheurs à qui il est demandé d’animer des activités de recherche, les travaux de recherche devant se faire à l’avenir à l’extérieur de l’entreprise. D’autres salariés de la R&D auront à évoluer vers des métiers centrés sur le Développement de produits et services alors qu’il est reconnu que le métier de développeur à la R&D ne correspond en rien au métier de développeur des SSII. Par ailleurs, rappelons que si de nombreux recrutements de jeunes ont eu lieu ces dernières années, la pyramide des âges des salariés de la R&D révèle un important pourcentage de salariés âgés de plus de 45 ans (personnel qualifié de « senior » par la DRH) et pour lesquels une reconversion professionnelle sera plus difficile.
En conclusion, si l’open innovation, sur le court terme, est efficace sur le plan économique et peut se révéler source de valeur pour l’entreprise, elle contribue à la destruction de l’emploi en R&D. Dès lors, la mise en œuvre de Nova+ ne peut que se révéler à risque pour la santé des salariés si les évolutions des métiers n’ont pas été anticipées et si les individus ne sont pas accompagnés dans ce projet de changement.