Les 3 points clés à retenir sur les enjeux d’actualité dans la branche des Télécoms
Rédigé par Frédéric Renard le . Publié dans INNOV.
REGLEMENTATION, CONCURRENCE, EMPLOI
Explications avec notre expert IMTW Thierry Meurgues, Membre du Conseil d’Administration CFE-CGC Orange, en charge des affaires de Branche des Télécoms, Délégué fédéral au Comité directeur confédéral CFE-CGC, élu titulaire aux Comités de Groupe Europe et Monde d’Orange, Délégué du Personnel, élu CHSCT et Délégué Syndical à IMTW/OLPS.
REGLEMENTATION : Orange s’est beaucoup plaint d’une règlementation défavorable à son égard au niveau national et européen, où en est-on aujourd’hui ?
« Nous faisons face aujourd’hui à des injonctions contradictoires des législateurs et régulateurs français et européens. La fin du Roaming, décidée par l’Exécutif européen à compter du 30 juin 2017 pour donner des gages concrets à une population européenne de plus en plus eurosceptique, va nous priver de recettes non négligeables. En France, le régulateur national, par le biais de Sébastien Soriano, Président de l’ARCEP, a déclaré qu’il convenait que l’itinérance de Free sur le réseau national d’Orange cesse progressivement.
Je pense que les prix pratiqués aujourd’hui, 20 euros par mois en moyenne pour un abonnement mobile voix + SMS/MMS illimités + data, sont déjà très serrés, parmi les plus bas en Europe. Avec ces tarifs, qui font chuter nos marges et notre capacité d’investissement, il est difficile de garantir une qualité de réseau optimale, tout en payant des licences d’entrée aux pouvoirs publics à chaque arrivée de nouvelles technologies. D’autant que notre actionnaire actuellement majoritaire, l’Etat, nous demande de lui verser des dividendes généreux malgré la baisse de notre chiffre d’affaires en France, d’arriver en tête du classement ARCEP sur la qualité des réseaux, tout en évitant de provoquer des remous sociaux dans le cadre de notre politique de l’emploi. »
CONCURRENCE : SFR a essayé 2 fois, Orange 1 fois, sans succès, resterons-nous un marché à 4 opérateurs télécoms majeurs, et si oui comment vont-ils cohabiter, sachant qu'au niveau européen aussi la consolidation est en panne ?
« Ce sujet remontera sur scène après les élections présidentielles de mai 2017. Aujourd’hui, malgré une position ambiguë de l’Exécutif européen sur ce thème, la plupart des grands pays d’Europe ont amorcé, ou d’ores-et-déjà réalisé, une concentration de leurs opérateurs télécoms nationaux.
Reste la position des deux principaux commissaires européens sur ce thème :
- Margrethe Vestager, Commissaire européen à la Concurrence, bloque systématiquement les opérations de consolidation nationale venant de pays européens au motif qu’un plus grand nombre d’acteurs par pays est profitable aux consommateurs, en s’appuyant sur le cas de l’Autriche, où le passage de 4 à 3 opérateurs, suite à la sortie d’Orange de ce marché en 2013, a provoqué une hausse d’environ 18 % des tarifs, descendus à un niveau historiquement bas.
- De son côté, Günther Oettinger, Commissaire européen à l’Economie et la Société numérique, est sensible aux moyens dont l’Europe entend se doter pour rivaliser à égalité avec les géants américains et chinois. Cela passe par l’organisation autour de 3 ou 4 puissants acteurs européens, alors qu’il subsiste aujourd’hui encore une centaine d’opérateurs en Europe, priorisant la lutte pour leur survie sur leurs marchés nationaux, les questions européennes passant au second plan.
Stéphane Richard a toujours laissé entendre qu’il serait moins compliqué aujourd’hui de consolider le marché au niveau européen (peut-être via la poursuite du rapprochement avec Deutsche Telekom, ou avec tout autre acteur partageant cette vision) qu’au niveau national.
Quoi qu’il en soit, à l’instar d’opérations similaires observées sur d’autres marchés, notre position est que le passage de 4 à 3 opérateurs sur le marché français est inéluctable, une voix politique homogène restant à construire au niveau de la Commission Européenne. Cette consolidation devrait nous permettre de dégager les marges suffisantes pour continuer à développer massivement les technologies, les réseaux, les services innovants et, par voie de conséquence, contribuer à une augmentation de l’ARPU (revenu moyen par client). Il est possible d’intégrer dans les obligations d’exploitation commerciale aux opérateurs restants de ne pas augmenter les tarifs pour les clients.
Chez Orange, cela pourrait prendre la forme d’une sécurisation de notre actionnariat avec un solide partenaire français ou européen, comme Bouygues ou Vivendi par exemple. « L’Etat n’a pas vocation à rester à ce niveau dans le capital d’Orange » disait Stéphane Richard lui-même lors d’une table ronde au Palais Brongniart le 11 octobre dernier. En cas de descente rapide de l’Etat au capital d’Orange, qui semble très probable après les élections en France en 2017, cela permettrait, simultanément avec la montée de l’actionnariat salarié que nous appelons de nos vœux, de ne pas fragmenter davantage notre capital, tout en constituant un solide pacte d’actionnaires. En outre, cela permettrait d’éviter une évolution « façon Peugeot », lequel a dû faire appel aux capitaux chinois. »
EMPLOI : comment le business si porteur des télécoms peut se retrouver aujourd’hui à détruire massivement des emplois, et susciter mal-être des personnels, grèves et suicides ? Erreurs à répétition ou absence de vision du marché par le corps des polytechniciens qui retient historiquement le secteur des télécoms, prédominance des intérêts financiers sur les intérêts économiques, comment aider les personnels de la branche télécom pris dans cette tourmente ?
« Si nous sommes favorables à un retour à 3 opérateurs en France, il n’est pas admissible que la consolidation s’opère en supprimant des postes et en détruisant des emplois. Quitte à imposer aux opérateurs l’obligation du maintien de l’emploi et leur relocalisation en France, via le cahier des charges des licences qui leur ont été attribuées par les Pouvoirs publics.
La promesse du secteur des télécommunications est articulée autour d’une forte croissance, génératrice de valeur, pour les années à venir. Or chez Bouygues et SFR les suppressions d’emploi se multiplient, jusqu’à un tiers du personnel chez ce dernier, via des plans de départ volontaire successifs. Chez Free, la fragmentation volontaire de l’entreprise en d’innombrables filiales empêche toute existence d’un véritable dialogue social ainsi qu’une gestion transparente de la politique de l’emploi, les instances prud’homales croulant sous les saisines de salariés abusivement licenciés.
J’ai déjà évoqué plus haut certaines des causes: l’arrivée d’un quatrième opérateur en France en 2012, alors que la tendance était à la concentration ailleurs en Europe, l’absence de projection sur les conséquences à long terme, et plus précisément l’effet mortifère sur l’emploi, ainsi que le manque de cohérence de l’Exécutif européen sur la question. De leurs côtés, les GAFA (Google/Apple/Facebook/Amazon) poursuivent leur hégémonie, les industriels de l’équipement télécom se concentrent (Nokia-Alcatel), mais rien ne se passe de notre côté…
Il est inacceptable pour la CFE-CGC de supprimer des emplois dans notre Branche, de financiariser le secteur juste pour permettre à des acteurs de passage de pressuriser les structures avant de les revendre par profit.
Nous sommes en train de nous réorganiser afin d’être en capacité de parler d’une seule et même voix CFE-CGC au sein de la Branche des Télécoms, tout en garantissant le maintien de notre organisation en adéquation avec le paritarisme, la CFE-CGC d’Orange contribuant à hauteur d’environ 90% du poids de la CFE-CGC, 2nde organisation syndicale de la Branche des Télécoms. Mais nous n’avons pas attendu pour venir en aide aux personnels de la Branche : nous avons écrit aux pouvoirs publics pour alerter sur les suppressions de postes, nous restons solidaires des personnels touchés. D’autres perspectives d’actions, liées à l’élargissement de nos champs d’intervention, s’ouvriront prochainement pour assurer en permanence la meilleure défense possible des intérêts des personnels de toute la Branche des Télécoms. »