Les opérateurs télécoms en 4 graphiques : saison 2022
Rédigé par François BRESSY le . Publié dans Télécoms.
Chaque année, nous actualisons les graphiques qui permettent d’appréhender les principaux indicateurs clefs des opérateurs de télécommunications en France.
Ces indicateurs proviennent de l’Observatoire des marchés consolidé par l’Arcep, régulateur français des télécoms. Nos graphiques, qui reprennent l’ensemble des données de l’Arcep depuis 1998, intègrent les actualisations rétroactives réalisées par l’Autorité. Nous les complétons par l’analyse des données présentées par Orange dans son document d’enregistrement 2022.
Ils ne concernent que le marché français, et les opérateurs de télécommunications, hors activité des autres acteurs de la filière.
Une année 2022 « relativement satisfaisante » pour le marché français des télécoms… sauf pour les emplois
Interviewée par BFM Business (25/05/2023) à la suite de la publication du millésime 2022 de l’Observatoire des marchés, la présidente de l’Arcep, Laure de La Raudière, s’est montrée apaisante après plusieurs mois de tension, notamment avec Orange, et s’est dite globalement satisfaite par la situation actuelle.
De fait, les opérateurs ont continué d’investir à un niveau très élevé en 2022 (14,6 milliards d’euros), malgré un léger recul des montants dépensés (- 1,8 % par rapport à 2021, hors achats de fréquences). Le déploiement de la fibre se fait « vite et bien », même si certains « points d’attention » sont à porter sur certaines communes moyennes. Les actions mises en œuvre par la filière, pour mettre fin aux indéniables problèmes de qualité de service sur le raccordement, « vont conduire à des résultats ».
Parallèlement, portés par les services mobiles, les revenus des opérateurs ont progressé en 2022 pour la 2e année consécutive (+ 1,8 % par rapport à 2021), après 10 années de baisse ininterrompue (plus d’informations dans BFM Business – Olivier Chicheportiche – 25/05/2023 et Le Monde Informatique – Jacques Cheminat – 26/05/2023).
« Le chiffre d’affaires augmente, [les opérateurs] continuent à investir, les consommateurs ont des prix bas » : « la situation est relativement satisfaisante », conclut la présidente de l’Autorité.
Dans ce tableau assez idyllique, Laure de La Raudière oublie cependant d’évoquer la question de l’emploi, tout comme l’Observatoire de l’Arcep, qui ne consacre pas plus de trois lignes à ce sujet : « Le nombre d’emplois directs des opérateurs de communications électroniques et d’infrastructure de téléphonie mobile s’élève à 95 000 à la fin de l’année 2022. Depuis 2013, le nombre de personnes employées par les opérateurs diminue à un rythme compris entre 3 000 et 4 000 par an (- 3 600 en 2022). » Et voilà : on est dans la moyenne, tout est normal, passons à autre chose.
Pourtant, le maintien de l’emploi dans les télécoms, et même son « développement », est une des missions qui incombent au régulateur, selon le Code des postes et des communications électroniques ! En ne protégeant pas l’emploi dans le secteur, l’Autorité a d’ailleurs indirectement contribué à générer une des principales problématiques auxquelles elle est confrontée depuis plusieurs années : celle de la qualité de service en matière de raccordement à la fibre. De fait, le problème originel provient de la stratégie des opérateurs d’externaliser cette mission pour diminuer leurs coûts directs. En effet, en sous-traitant ces opérations, ils ont perdu le contrôle de la qualité des raccordements : c’est cela qui engendre les malfaçons observées aujourd’hui et les plaintes de consommateurs qui en découlent.
Mais au-delà des seuls postes techniques, c’est bien une destruction globale de l’emploi qui est à l’œuvre dans le secteur. Le cercle vicieux reste le même pour les opérateurs : des investissements toujours très importants à fournir pour le déploiement et la maintenance des réseaux ; des revenus qui ne progressent pas au même rythme que l’inflation ; des actionnaires en attente de dividendes conséquents. Pour résoudre cette équation, la variable d’ajustement que les opérateurs utilisent systématiquement est la réduction de leurs coûts. Et celle-ci passe principalement par une baisse de leurs frais liés à la rémunération, qui se matérialise par une diminution assumée du nombre de leurs salariés. Orange se place en fer de lance de cette stratégie. Et les annonces de l’opérateur historique durant les premiers mois de 2023 (suppressions de postes chez Orange Business, programme de mobilité forcée dans les boutiques, cession d’OCS et Orange Studio, volonté de se séparer d’Orange Bank) n’incitent pas à l’optimisme dans ce domaine.
Des investissements en très légère baisse, sous l’effet d’un déploiement de la fibre moins intensif
Après sept années consécutives de croissance (dont un millésime 2020 en trompe l’œil, avec des montants dilatés par les enchères pour les fréquences 5G), les investissements des opérateurs ont connu une très légère baisse en 2022 (- 1,8 % par rapport à 2021, hors achats de fréquences). Ils se sont toutefois montés à 14,65 milliards d’euros (contre 14,9 milliards en 2021, hors achats de fréquences).
Ce léger tassement reflète une diminution de l’intensité du déploiement de la fibre, qui se généralise peu à peu : fin 2022, plus de 75 % des locaux (particuliers et entreprises) en France, soit 34,5 millions au total (+ 4,8 millions par rapport à 2021), étaient raccordables au réseau FttH. Avec 18,1 millions d’abonnements, la fibre optique représente désormais 57 % du nombre total d’accès internet à haut et très haut débit (+ 11 % par rapport à 2021).
En 2022, les investissements liés à l’activité fixe se sont montés à 10,8 milliards d’euros (soit 74 % du montant total des investissements), ce qui représente 435 millions d'euros de moins qu’en 2021. Ce recul provient presque intégralement de la baisse des investissements dans les boucles locales fixes à très haut débit (- 380 millions d’euros), qui restent toutefois à un niveau élevé (5,4 milliards d’euros, essentiellement en fibre optique).
Parallèlement, les montants investis dans les activités mobiles ont atteint 3,8 milliards d’euros en 2022, soit 175 millions d’euros de plus qu’en 2021. Les boucles locales 4G et, surtout, 5G ont concentré la plus grande partie de ces investissements (72 %, pour un montant de 2,7 milliards d’euros). Deux ans après le lancement commercial de la 5G, cette technologie équipe désormais 8,3 millions de cartes SIM (soit 10 % du parc, + 5,2 millions en un an). Dans le même temps, la 4G poursuit sa démocratisation, à un rythme toujours soutenu : elle équipe désormais 68,9 millions de cartes SIM, soit 83 % du parc.
Avec la progression des taux de déploiement des différentes technologies, les investissements des opérateurs pourraient continuer à se tasser, tout particulièrement au niveau de la fibre optique, où le ralentissement des déploiements devrait être sensible dès 2023. La filière se penche d’ailleurs déjà sur de nouveaux relais de croissance.
Des revenus en progression pour la 2e année consécutive, portés par le marché mobile
Les revenus des opérateurs sur le marché de détail ont atteint 36,7 milliards d’euros en 2022, soit une croissance annuelle de 1,8 %. C’est la deuxième consécutive après celle enregistrée en 2021 (+ 2,4 %), qui rompait avec dix années de recul. C’est le marché mobile qui a porté cette progression, tant au niveau des services (+ 4,5 %) que de la vente de terminaux (+ 5,1 %). A l’inverse, les revenus des services fixes ont légèrement diminué (- 0,3 %), après deux années de faible augmentation : cette tendance s’explique par le recul constant des services internet bas débit (- 15,4 % en 2022), que la croissance des services à haut et très haut débit (+2,4 %) n’est pas parvenue à compenser totalement.
Au-delà de la progression des usages, sur le fixe (+ 1,4 % pour les abonnements haut et très haut débit) comme sur le mobile (+ 2,4% pour les cartes SIM), la guerre des prix s'est calmée. Par ailleurs, certains tarifs ont augmenté, du fait de l'inflation. Ainsi, l’édition 2022 de l’étude de l’évolution des prix des services de communications électroniques de l’Arcep fait état d’une augmentation globale pour la 2e année consécutive : la progression est faible mais réelle, tant pour les prix moyens des services mobiles (+ 0,7 %, portés par les prix des forfaits « nus ») que pour ceux des services fixes (+ 1,2 %). Ce mouvement devrait se confirmer en 2023, les opérateurs ayant augmenté leurs tarifs pour faire face à l'augmentation des coûts de l'énergie, des matières premières et de la sous-traitance. Ces derniers doivent cependant décider où placer le curseur, entre les promesses de gains liés à une facture plus élevée et les risques financiers de possibles résiliations (plus d’informations dans ZDNet – Xavier Biseul – 26/05/2023).
Toutefois, l’édition 2022 de l’étude économique de la Fédération française des télécoms nous rappelle que les prix des services télécoms français restent toujours parmi les plus bas observés dans les grands pays occidentaux. A l’inverse, l’effort d’investissement des opérateurs français reste le plus important d’Europe, et ces derniers sont soumis à une fiscalité spécifique au secteur très lourde. Dans ces conditions, il leur est difficile de renforcer leurs marges… ce qui impacte directement les emplois, variable d’ajustement de cette équation.
La destruction des emplois dans le secteur des télécoms se poursuit depuis 10 ans
En 2012, les offres de Free Mobile faisaient leur apparition sur le marché français : depuis cette date, le secteur a supprimé 34 000 postes, sur un rythme implacable de 3 000 à 4 000 par an. Le millésime 2022 n’a pas fait exception, avec 3 600 emplois en moins par rapport à 2021 (- 3,6 %). Après le passage sous la barre symbolique des 100 000 emplois directs en 2021 (contre plus de 150 000 au début des années 2000 !), il ne reste désormais plus qu’un peu plus de 95 000 salariés dans les télécoms. A quel moment va s’arrêter cette hémorragie ?
Principal employeur du secteur, Orange a concentré en volume la majeure partie des suppressions de postes (cf. ci-après). D’après leurs documents d’enregistrement universel 2022, les effectifs des autres opérateurs ont peu évolué en comparaison : SFR a supprimé 1,5 % de ses effectifs, tandis que Bouygues Telecom et Free les faisaient même augmenter, respectivement de 2,9 % et 5,0 %.
En 2022, Orange a supprimé plus de 3 400 postes en France. C’est le plus faible total enregistré depuis quatre ans, mais cela ne peut nous consoler de la destruction méthodique de l’emploi actuellement mise en œuvre chez l’opérateur historique : avant l’arrivée de Free Mobile sur le marché en 2012, Orange comptait plus de 105 000 salariés en France ; il en reste moins de 75 000 aujourd’hui.
La politique de réduction « naturelle » des effectifs – en ne remplaçant qu’une partie des personnes partant en retraite –, qui a fait ses preuves depuis de nombreuses années, a continué de s’appliquer en 2022. Cela a cependant été moins marqué que les années précédentes, l’opérateur étant confronté à une fuite accrue des talents (+ 57 % de démissions par rapport à 2021). Cette dernière illustre la concurrence extrêmement forte à laquelle se livrent les entreprises du marché des services télécoms et numériques, mais aussi la baisse de l’attractivité de l’opérateur historique, que la CFE-CGC Orange déplore depuis plusieurs années. Aussi, en 2022, Orange a dû recruter plus que les années précédentes (plus de 2 500 nouveaux entrants, soit + 14 % par rapport à 2021). Permettant « d’accompagner la transformation du Groupe et de renforcer l’acquisition de nouvelles compétences », ces recrutements concernent les métiers des domaines « Innovation et Technologie » et « Client », et sont « accueillis à plus de 56 % dans les filiales françaises porteuses de croissance de la division OBS (OBS SA, Orange Cyberdefense, Business & Decision) ».
Mais faut-il encore parler de croissance concernant Orange, au regard de ses résultats annuels 2022, avec une baisse de chiffre d’affaires de 1,1 % pour Orange France et une augmentation de 0,2 % seulement pour Orange Business (Services), alors même que l’inflation moyenne était supérieure à 5 % ? De quoi amener notre syndicat à s’inquiéter du « déclin assuré » de notre entreprise. Cette inquiétude se trouve encore renforcée par les résultats du 1er trimestre 2023, avec une diminution des chiffres d’affaires d’Orange France (- 1,8 %) et Orange Business (- 0,7 %). Pourtant, « au lieu de se mobiliser pour simplifier l’organisation de notre entreprise, retrouver de la productivité, diminuer la charge de travail et redonner du sens au travail, la Direction se lance à corps perdu dans des réorganisations sans queue ni tête dans les fonctions supports, des suppressions de postes chez OB(S) (et les délocalisations consécutives pour faire face) qui vont désorganiser la production, des mobilités forcées ou des baisses de salaires dans les boutiques », dénonce la CFE-CGC Orange.
Avec une telle (non-)stratégie, l’année 2023 s’annonce mal pour l’emploi chez Orange. Et pour ceux qui vont rester, le Groupe ne proposera… qu’une perte de pouvoir d’achat : lors de la « Négociation » annuelle obligatoire de début 2023 et malgré l’inflation galopante depuis début 2022, la Direction a refusé tout rattrapage pour l’année écoulée et proposé un taux d’augmentation inférieur à l’inflation pour 2023, car « l’accord salarial n’a pas vocation à répercuter le montant de l’inflation sur les rémunérations ». Avec de telles conditions, il va être compliqué pour le Groupe d’obtenir l’engagement et la motivation de ses salariés, ce qui ne peut qu’impacter négativement la performance de l’entreprise.