Rapprochement avec TeliaSonera
Rédigé par Frédérique Limido le . Publié dans Europe et International.
Rapprochement avec TeliaSonera, un avenir pour France Télécom ?
par Sébastien Crozier, avec la contribution de l’ADEAS*
Un marché européen et mondial peu concentré
Il existe plus d’une quarantaine d’opérateurs en Europe. Le secteur des télécoms n’étant plus le domaine réservé des États mais désormais celui des marchés financiers, la concentration au nom de la maximisation de la rentabilité du capital est donc inéluctable.
Alors qu’au début des années 2000, France Télécom était le 2e opérateur derrière Deutsche Telekom, il pointe aujourd’hui à la 4e place, dépassé par Telefonica, tant en terme de chiffre d’affaires (57 milliards d’euros contre 53 milliards) que de capitalisation boursière (46 milliards contre 85 milliards), et Vodafone.
France Télécom et TeliaSonera, deux acteurs qui se connaissent bien
En 2004, suite à l’attribution d’une des quatre licences UMTS à Orange Sverige, devant l’incapacité d’Orange à respecter le calendrier, la licence a été cédée à TeliaSonera et à Tele2.
La même année, France Télécom s’est désengagé du Danemark au profit de TeliaSonera en cédant sa filiale mobile Orange Danemark pour 600 millions d’euros.
Bien que les démentis de France Télécom sur l’existence de discussions se soient succédés, tout au long du mois de mai, des échanges réguliers (et manquant étonnamment de discrétion) ont eu lieu au siège de France Télécom, place d’Alleray, avec des représentants de TeliaSonera.
L’échec de la politique de versement d’un dividende élevé
L’affaire, à peine annoncée, ne semble pas bien « bouclée » : les demandes de l’État suédois visiblement négociées à l’avance entraînent une chute des cours de France Télécom qui crée à son tour une moins-value sur les échanges d’actions, elle-même entraînant de nouvelles exigences suédoises dans une spirale «perdant-perdant »…
A l’origine de cette absence de maîtrise ? Une politique de distribution de dividendes qui a conduit à affaiblir durablement la capitalisation boursière (à ce jour 46 milliards d’euros contre 85 pour Telefonica) et la capacité d’emprunt. Si nous avions eu une politique de dividendes prudente et non une course au meilleur dividende versé, l’endettement prévu aurait été plus raisonnable. Nous avons distribué notre cash et la Direction constate que « les caisses sont vides ». L’acquisition par 16 milliards d’euros en cash et la mauvaise parité d’échange de titres donne donc raison à l’inquiétude des marchés financiers. Ce qui explique la chute de l’action en bourse.
L’opération de rapprochement avec TeliaSonera cristallise l’échec de la politique poursuivie par la Direction de France Télécom et son principal actionnaire, l’État français. En distribuant plus de 8 milliards de dividendes en 3 ans - dans le seul but de satisfaire aux demandes d’un gouvernement anxieux de boucler ses fins de mois budgétaires -France Télécom a maintenu un endettement et des frais financiers à un niveau élevé.
La CFE-CGC plaide depuis plusieurs années pour le renforcement des fonds propres de l’entreprise. Mais la Direction de l’entreprise obnubilée par les cours boursiers préfère organiser la pénurie du nombre de titres disponibles plutôt que d’essayer de convaincre les marchés par sa stratégie.
Ainsi, elle organise le rachat de ses propres actions. De même les actions d’une valeur de 200 millions d’euros, fictivement distribuées, ont été achetées sur le marché plutôt que créées en augmentation de capital. Il aurait été tout autant possible de payer les dividendes en titre pour augmenter régulièrement le capital. En ne le proposant pas, la Direction oblige les fonds de l’épargne salariale à racheter des titres sur le marché pour utiliser les liquidités issues du versement des dividendes, espérant ainsi provoquer une remontée d’un cours affaibli par le détachement du coupon.
Quel projet industriel ?
Sur le plan industriel, un certain nombre d’éléments plaident pour un rapprochement.
a) Presque aucun recouvrement géographique hormis l’Espagne et la Moldavie. A part ces deux pays, il n’y aura donc pas de réductions d’effectifs d’importance
b) Un rééquilibrage entre les types de marchés. Les marchés d’Europe occidentale ne progressent plus en terme de pénétration, la valeur se déplace sur les contenus. En Europe de l’Est ou en Asie centrale, la croissance du nombre d’abonnés toujours présente même si le revenu moyen y est encore faible.
c) Des économies immédiates sur le réseau international (backbones). France Télécom pourrait mettre en commun ses infrastructures internationales avec celles de TeliaSonera.
d) L’offre « grandes entreprises » sortirait renforcée, grâce à des synergies importantes avec TeliaSonera
Sur ces deux derniers points, c’est une économie presque immédiate de 100 millions d’euros qui serait réalisée grâce à la remarquable position de la société Equant, filiale à 100% de France Télécom depuis 2005 sur le marché des réseaux internationaux et des services aux multinationales.
Beaucoup d’incertitudes
On aura tout de même noté le désengagement des pays scandinaves en 2004 (cf. ci-dessus) au nom des faibles perspectives de croissance de ces pays.
On peut encore souligner :
a) L’extension de la marque Orange se heurterait à la position d’actionnaire minoritaire dans les principaux actifs de TeliaSonera (en Russie et en Turquie) empêchant la mise en place des synergies tant attendues. Le conflit actuel opposant France Télécom à Orascom à propos de Mobinil en Égypte est une des illustrations de ces difficultés.
b) En Espagne, la réunion de deux acteurs possédant une licence mobile serait soumise à l’approbation des autorités locales et communautaires de la Concurrence. L’homme le plus riche du monde, Carlos Slim, patron du principal opérateur mexicain Telmex – auquel France Télécom a vendu sa participation à vil prix, il y a quelques années…–, avait, en février 2008, fait part de son désir de racheter Yoigo (l’opérateur mobile de TeliaSonera en Espagne). Est-ce que cette demande constitue une opportunité pour France Télécom de se désendetter dès l’acquisition de TeliaSonera ?
c) La couverture en Europe occidentale reste insuffisante. L’Allemagne et l’Italie resteraient absentes de la couverture géographique du nouvel opérateur, sans compter les Pays-Bas dont Orange est sorti. Face à Vodafone, France Télécom parait bien faible.
d) Des économies réalisées sur le personnel ? France Télécom annonce des synergies est évaluées à 1% du Chiffre d’Affaires. La moitié de ce gain passe par une réduction des effectifs dans la R&D et le marketing produits. C’est 5 000 emplois qui seront sacrifiés dont au moins 3 000 en France d’ici 2013. La CFE-CGC reste très vigilante sur ce point.
Un changement de nom programmé
Comme l’avait annoncé la CFE-CGC, la Direction de France Télécom a l’intention de faire coter le nouveau groupe à Helsinki et Stockholm. Pour cela elle devra passer la raison sociale France Télécom sous l’appellation unique Orange.
Manger ou être mangé ? KPN, Deutsche Telekom, Orascom et les autres…
Il existe d’autres options pour France Télécom.
KPN est présent aux Pays Bas et en Allemagne offrant ainsi une complémentarité de couverture pour le déploiement de la marque Orange.
Les dirigeants d’Orascom ont indiqué publiquement il y a quelques mois, être intéressés par une participation dans France Télécom. Orascom est présent en Italie et dans le pourtour méditerranéen, là où France Télécom est absent. L’opération d’échange faite avec une autre filiale de ce consortium spécialisé dans le ciment contre une participation dans Lafarge est une option tout à fait transposable. Les relations personnelles très dégradées entre les dirigeants des deux groupes (cf. affaire Mobinil évoquée plus haut) renvoient cette hypothèse à plus tard.
Récemment la presse allemande a indiqué que le gouvernement allemand était favorable à un rapprochement entre Deutsche Telekom et France Télécom. Des capitalisations équivalentes et des implantations complémentaires, sauf en Grande Bretagne, permettraient une fusion entre égaux.
D’autres scénarios sont aussi possibles. Il y dix-huit mois Alfa Group, maison mère d’un opérateur russe présent dans les républiques de l’ancienne URSS et fort d‘une capitalisation boursière de plus de 20 milliards d‘euros a indiqué son intérêt pour un rapprochement avec FT.
L’absence de noyau dur
En l’absence d’autres actionnaires stables, les salariés sont le deuxième actionnaire avec près de 4% du capital. La faible capitalisation actuelle et l’absence de noyau dur rendent France Télécom vulnérable aux OPA hostiles. Il est pourtant évident que le secteur va connaître une période de concentration.
Vers un désengagement des États ?
A l’issue de l’opération, l’État français détiendrait environ 20% du nouvel ensemble, l’État suédois 9% et l’État finlandais 3%.
La position des salariés-actionnaires
La CFE-CGC soutient l’ADEAS* dans sa demande à la Direction de France Télécom de prendre toutes les dispositions nécessaires à la protection de l’épargne des salariés. Au regard de la loi Sarkozy autorisant le déblocage anticipé de la participation, suite à la chute du cours de bourse, les salariés ont vu leur épargne disponible fondre de 25% depuis le 1er janvier !
Plus que jamais il apparaît nécessaire que la Direction de France Télécom et l’État répondent aux demandes exprimées régulièrement par la CFE-CGC :
- la mise en œuvre d’une véritable politique industrielle, seule garantie de la pérennité du groupe France Télécom
- l’association de l’actionnariat salarié, ainsi que de ses représentants, dans la politique industrielle.
- l’arrêt de la politique de distribution de dividendes qui affaiblit l’entreprise et sa capitalisation,
- le maintien de la participation de l’État, respectueux de ses devoirs d’actionnaire de référence,
- la constitution d’un actionnariat solide et stable,
- la protection de l’actionnariat et de l’épargne des salariés
- une véritable communication interne et externe de la part de la Direction.
*Association de Défense de l’Épargne et de l’Actionnariat des Salariés : 80 000 salariés possèdent des actions France Télécom.