De l'anonymat aux podiums, rencontre avec Alexandrine MAURICE
Rédigé par Magali FERNANDES le . Publié dans Handicap.
"Bonjour à tous ! Je m'appelle Alexandrine, j'ai 27 ans. Je suis fan du Japon depuis ma plus tendre enfance et je souhaite désormais aller y vivre. Je suis artiste dans différents domaines : modèle, auteur freelance depuis une dizaine d'année, styliste débutante, etc. Ma grande passion est le Visual Kei."
Atteinte d’amyotrophie spinale alliée à une trachéotomie, des obstacles se sont-ils présentés dans votre parcours professionnel ?
Je pense qu'avant de parler de parcours professionnel, il faut aborder le sujet de la scolarité qui y est directement lié. Encore aujourd'hui, faire des études lorsqu'on est en situation de handicap est un parcours du combattant. Pour prendre mon propre exemple, je n'ai même pas pu finir la seconde, car malheureusement les moyens "déployés" pour nous permettre de poursuivre ne sont ni suffisants, ni au point. Nous coûtons trop cher à l'État, car il faut rendre les bâtiments accessibles. Nous serions mieux dans des structures "pour handicapés". Les AVS* sont difficiles à trouver, peu formés et peuvent rompre leur contrat du jour au lendemain, et sans préavis. Et malheureusement, sans étude, comment prétendre à un travail correct ? Nous pourrions alors penser que les recruteurs, conscients de la situation, seraient davantage magnanimes face au manque de diplôme, mais c'est tout l'inverse qui se produit. Vous êtes en situation de handicap, c'est déjà une catastrophe à leurs yeux, et en plus vous n'êtes pas formés. Ça ne veut pas dire que vous ne savez rien faire, mais plutôt que vous demander en quoi vous êtes doués, on s'arrête à ces critères. Il en est de même pour moi. Je possède uniquement un brevet des collèges, mais j'ai suivi des études à l'École de la Vie. Je suis plutôt douée en technologie de l'information, en art, en communication (médias), etc. Mais ça ne prime pas. Ce qui compte en premier aux yeux d'une majorité malheureusement est ma situation physique.
Comment devient-on mannequin à l’autre bout du monde ?
Pour ma part, ce fût du hasard complet, haha ! Un matin, ma mère me parle d'un reportage que mon père et elle avaient vu à la télévision sur un designer japonais. Elle me précise que celui-ci avait fait défiler une jeune fille en fauteuil roulant, ainsi qu'une mal-voyante, et que, pour la première fois pour ce genre de sujet, mon père comme elle n'avaient pas eu une impression négative. Il faut être réaliste. Souvent, quand le sujet du handicap est abordé pour quelque chose qui devrait être positif, c'est raté et provoque un sentiment de gêne ou cette récurrente impression de tristesse. Plus tard, dans la journée, elle m'a montré le designer en question. Il s'agissait de Takafumi Tsuruta de la marque Tenbo au Japon. Je me suis alors renseignée sur lui et lu qu'il avait créé Tenbo suite à la catastrophe de Fukushima, afin de promouvoir la diversité au quotidien entre personnes valides et non valides. Je lui ai envoyé un message par Facebook pour en avoir le coeur net. Deux mois plus tard, j'ai eu une réponse. Nous avons commencé à discuter, et après avoir vu mes photos, il m'a proposé de faire un essai à la Tokyo Collection de 2015. C'est ainsi que ma carrière de mannequin a débuté.
« Endy and Co » et « Constant & Zoe », des marques voient le jour pour une mode adaptée. Madeline, Dimitri, des mannequins en situation de handicap ont de la notoriété. Pensez-vous que le monde de la mode puisse faire évoluer les regards ?
Je pense que, de manière globale, l'art est un excellent moyen de faire évoluer les mentalités. La plupart du monde s'intéresse ou est confronté à l'art, que ce soit le cinéma, la mode, la musique, etc. Je pense qu'il est grand temps que l'art s'ouvre réellement à la diversité, promeut des artistes "hors normes", afin que les gens comprennent que nous partageons tous le même monde et que nous avons tous des rêves. À mes yeux, c'est de cette manière que la discrimination et l'intolérance s'atténuera.
Aviez vous un proche aidant dans votre enfance ?
Quelle incidence sur sa carrière ?
Ma mère fût, et est encore aujourd'hui, mon aidant familial. À cause de cela, mais également car j'ai passé de nombreuses années à l'hôpital dans un état critique, elle a dû très rapidement renoncer à sa carrière. Mon père a donc dû travailler en 3/8 au Luxembourg pendant 15 ans pour tenter de nous offrir un quotidien correct. En contrepartie, il y a laissé sa santé physique et en partie morale. Étant seule avec moi, et par la suite avec ma soeur cadette, ma mère a dû gérer de nombreuses choses en plus du médical : la maison, les papiers, les rendez-vous, et également certains membres de notre famille qui malgré tout ça ne se gênaient pas pour s'imposer chez nous.
Était elle facilitante pour les sorties à l'adolescence ?
Quelles sont les relations avec elle aujourd'hui ?
Je pense que tout le monde comprendra qu'avoir un membre de sa famille comme proche aidant n'a rien d'agréable une fois l'adolescence atteinte. Premièrement, car dans ces années-là, ma mère était toujours très occupée par tout ce qui nous entourait et ne pouvait pas se permettre de répondre autant que je l'aurais souhaité à mes désirs d'adolescente. J'ai dû renoncer (de mon propre choix) à bien des activités à cette époque pour que notre vie familiale n'en subisse pas les conséquences. De plus, comme n'importe qui d'autre, sortir avec ma mère entre 14 et 18 ans ne m'enchantait guère. Il ne faut pas oublier que les personnes en situation de handicap sont des personnes comme d'autres avant tout et qu'elles ont des désirs et des réactions comme tout un chacun.
Malheureusement, tout cela a fini par peser sur nos relations familiales. À force d'avoir passé autant de temps ensemble, aujourd'hui nous nous supportons bien plus difficilement alors que nous étions très proche. À mes yeux, l'aidant familial est une mauvaise chose. Sous prétexte de faciliter et également en appâtant avec l'aspect financier, on pousse les personnes en situation de handicap ainsi que leur famille à rester en clan fermé. Et par la suite, il est très difficile de s'en débarrasser. Les associations ou sociétés d'aide à la personne sont soit trop rares, soit n'ont pas suffisamment de personnel. Mais souvent, surtout, pas suffisamment de personnel formé aux différents handicaps. Alors on vous convainc qu'il vaut mieux garder la forme aidant car après tout ça vous rapporte une petite somme d'argent (et il est dur de lutter contre cet argument lorsqu'on voit la somme ridicule de l'AAH). Au risque d'en choquer certains (haha), l'époque où les personnes en situation de handicap restaient soit cachées chez elles, soit en centre, soit à l'hôpital, est terminée. Chacun d'entre nous a envie de vivre sa propre vie, ses propres rêves, sans pour autant avoir sa famille avec soit, et de préférence avec des moyens adéquats. Lorsque la société aura compris tout ça, les choses iront mieux.
Merci Alexandrine d'avoir répondu à nos questions. Nous vous souhaitons une belle carrière !
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*AVS : Auxiliaires de Vie Scolaire