Résultats T2 2020 et cours de l'action : la douche froide

Les résultats du second trimestre 2020 ont été présentés comme démontrant la résistance d’Orange dans un contexte de crise sanitaire. Comment dès lors expliquer la chute du cours de l’action, qui se poursuit inexorablement ? Décryptage.

Chiffre d’affaires globalement stable, marge en baisse.

Hors France et Moyen-Orient-Afrique, le CA passe au rouge. L’Espagne subit son 5ème trimestre de baisse depuis début 2019. Le pire, c’est que nous y avons perdu des parts de marché sur les offres d’entrée de gamme, sans anticiper que les capacités vendues à MàsMóvil… seraient utilisées pour nous concurrencer sur ce segment.

Les efforts qui avaient amélioré les résultats dans le reste de l’Europe et sur le marché Entreprise sont effacés par la crise. Après 6 trimestres de hausse, Orange Business Services voit son CA « services » impacté, de nombreux clients ayant repoussé leurs projets, ce qui fait chuter l’EBITDAal.

En Afrique et au Moyen-Orient, le CA a cessé d’afficher une croissance supérieure à 5%, impacté notamment par la gratuité imposée par les gouvernements sur certains services financiers pendant la crise.

EBITDAal

Bénéfice après loyers et avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement. Différence entre le CA et les OPEX (OPEX = dépenses d’exploitation, dont font partie les frais de personnels, par opposition aux CAPEX qui désignent les investissements). Traduit la marge avec laquelle l’entreprise vend ses biens et ses services.

La France sauve les meubles … grâce à Free…

En France, le second trimestre est marqué par un mois et demi de confinement avec fermeture des boutiques, qui a amputé les ventes d’équipements, déjà tendanciellement en baisse. Logiquement, c’est Sosh, dont toutes les transactions se font en ligne, qui contribue le plus fortement aux ventes sur la période. Les déploiements Fibre ont ralenti… et coûtent plus cher : environ 80 m€ de surcoûts « covid », liés aux équipements sanitaires et aux primes d’intervention, pour nos équipes, mais aussi nos sous-traitants.

L’arrêt total des flux de touristes étrangers a effacé les revenus du roaming (acheminement des appels internationaux). Les résultats du T2 affichent pourtant une croissance du CA wholesale (vente en gros aux autres opérateurs), grâce à un contrat de co-investissement sur la Fibre, signé avec Free, pour un total de 400 m€, qui se répartissent en deux parts égales (+ 200 m€ pour le CA, - 200 m€ pour les eCapex). L’impact financier est positif… mais les analystes notent que sans ce contrat, le CA français se serait dégradé au T2. La stratégie d’Orange est bien de consolider sa position d’opérateur d’infrastructures et d’organiser leur partage avec d’autres opérateurs, ce qui augure d’autres contrats de ce type. Mais cette transformation progressive de notre modèle économique n’est pas comprise, et, surtout à son démarrage, il est difficile d’en évaluer la récurrence : nous ne sommes plus dans une démarche commerciale classique dont les leviers sont connus, mais dans une contractualisation qui dépend largement des décisions stratégiques d’autres opérateurs.

…qui nous taille des croupières dans les abonnements Fibre.

Orange, déjà premier investisseur européen dans le FTTH, poursuit activement les déploiements, qui ont fortement repris dès la sortie du confinement. Mais si nous signons une souscription d’abonnements record (238 000 ventes nettes au T2), tous les opérateurs en tirent parti : entre avril et juin, les quatre opérateurs ont engrangé 674.000 nouveaux clients à la fibre, et Free fait mieux qu’Orange,  avec 243 000 nouveaux abonnés au deuxième trimestre. Les résultats des autres opérateurs, tombés après les nôtres, n’ont pas amélioré l’appréciation des marchés financiers : le cours de l’action Orange poursuit sa baisse, démarrée dès l’annonce du plan Engage2025 début décembre 2019 : la stratégie présentée ne convainc pas les investisseurs.

Baisse de l’objectif d’EBITDAal, activités de croissance mal mises en valeur.

Si les résultats présentés à l’issue du T2 apparaissent globalement corrects, l’EBITDAal du premier semestre baisse de 0,9% par rapport au S1 2019, et est inférieur aux prévisions. De ce point de vue, Orange résiste moins bien que d’autres opérateurs en Europe. En dépit d’une diminution d’environ 10% des investissements (eCapex) au S1, liée à la crise du coronavirus, mais aussi à la baisse des investissements hors Fibre et à la vente de tours mobiles jugées non stratégiques à Cellnex en Espagne, l’objectif initial d’EBITDAal pour 2020 a été révisé à la baisse. Autant d’annonces vues d’un mauvais œil par les analystes.

Notons également qu’il serait pertinent de présenter séparément les résultats de nos activités financières (Orange Bank, Orange Money…) et de cyberdéfense, en forte croissance. Nous pourrions ainsi démontrer qu’Orange se transforme en acteur du numérique tourné vers le futur et les nouveaux marchés, et n’est plus seulement « l’opérateur télécom historique », activité désormais jugée par les marchés comme les « utilities » dont on attend seulement du rendement boursier… c’est-à-dire de gros dividendes.

TowerCo, FiberCo : une stratégie peu claire

A chaque présentation des résultats, les demandes se font plus pressantes quant à la prochaine cotation de nos actifs réseaux, mobiles notamment, attendue avec impatience… mais probablement mal formulée. La presse en effet résume les projets d’Orange à une cession d’actifs pour récupérer du cash, comme l’ont déjà fait d’autres opérateurs français… alors que notre stratégie est diamétralement opposée !

Deux modèles économiques possibles pour un opérateur de télécommunications

  • Le modèle des coûts variables: il s’agit de louer des capacités sur le marché de gros, pour les revendre à ses clients, particuliers ou professionnels, sans posséder soi-même de réseau. Plus on a d’abonnés, plus le prix payé au propriétaire des infrastructures est élevé, le prix par abonné restant quasiment identique quel que soit le nombre d’abonnés. Selon la régulation du marché, le propriétaire dispose d’une latitude plus ou moins importante pour fixer ses tarifs. Sur le mobile, les tarifs de gros sont moins régulés que sur le fixe.
  • Le modèle des coûts fixes: dans ce modèle, on investit pour déployer des infrastructures dont on est propriétaire. Les investissements sont lourds, mais le prix de revient par abonné baisse au fur et à mesure qu’augmente le nombre d’abonnés. L’objectif du propriétaire est de vendre le maximum de ses capacités réseaux pour optimiser son investissement et faire baisser le coût marginal par abonné : c’est un modèle d’économies d’échelle.

Il ne s’agit pas pour Orange de vendre ses infrastructures comme l’a fait SFR par exemple : le projet est au contraire d’en conserver la propriété, et de vendre nos capacités à la fois en direct vers le Grand-Public et les Entreprises, et sur le marché de gros, via des accords avec d’autres telcos.  

Rassembler nos tours dans une ou plusieurs TowerCo vise plusieurs objectifs :

  • Optimiser la commercialisation auprès d’autres acteurs, sans obérer notre capacité à différencier nos offres, puisque nous conserverons à la fois la maîtrise technique et la maîtrise des coûts ;
  • Partager nos réseaux en priorité sur les zones géographiques où c’est peu différenciant pour nous (en France, sur les zones non denses, nous sommes déjà dans l’obligation réglementaire de les partager pour accélérer le comblement des zones blanches) ;
  • Mettre la valeur de ces actifs en visibilité : céder une petite partie du capital sur les marchés boursiers permettrait d’en « révéler » la valeur réelle, les infrastructures de télécommunications étant prisées des investisseurs ;
  • Permettre à Orange de consolider sa position d’opérateur d’infrastructures en saisissant des opportunités de rachat de réseaux, alors que d’autres telcos s’en délestent. Une telle stratégie, comme certaines mutualisations, permet de contourner les règles françaises et européennes qui limitent les possibilités de fusions entre opérateurs, alors que les études économiques montrent que la rentabilité est incompatible avec une concurrence exacerbée.

La rentabilité des investissements nécessaires pour déployer une infrastructure de réseau repose sur le modèle des économies d’échelle. La création d’une TowerCo est un moyen d’y parvenir. Il est surprenant qu’Orange n’ait pas su en faire la démonstration aux analystes et à la presse.

Sur la fibre, une filiale Orange Concessions sera prochainement créée pour porter les investissements de déploiement des réseaux fibre au sein des RIP (Réseaux d’Initiative Publique) dont Orange a obtenu la concession.  Nous en construisons et exploitons les réseaux  pour plusieurs années, sans en être propriétaire. L’ouverture du capital de la filiale à des partenaires financiers permettra à Orange de ne pas supporter seul le coût des investissements nécessaires.

Baisser les coûts et remonter le dividende. Sans rire ?

Faire porter les investissements par des filiales dont on ouvre le capital permet de diminuer les Capex en maison mère et d’augmenter le cash-flow… utilisé pour verser les dividendes.

A défaut de savoir convaincre sur cette stratégie, la Direction a remis sur le devant de la scène un plan d’économie nette pour le S2, qui s’inscrit dans le plan Engage 2025 visant à économiser 1 Md€ d’ici 2023 pour améliorer l’EBITDAal.

orange exe dividendes 500

Le plan d’économie a été confirmé par Stéphane Richard à Bloomberg. Il y annonce aussi un retour du dividende à 0,70€ par action pour l’exercice 2020 (après une baisse à 0,50€ au titre de l’exercice 2019 dans le contexte de la crise sanitaire et des appels du gouvernement français à la modération en la matière), et s’y plaint que les marchés financiers ne comprennent rien à la réalité économique de notre entreprise. En toute logique, les médias français ont traduit par : « réduction d’effectifs et hausse du dividende ». Des annonces catastrophiques, décourageant l’engagement des équipes, pourtant appelé à grands cris dans la communication interne de l’entreprise.

La gouvernance par le cours de bourse montre ses limites… allant jusqu’à oublier les règles intrinsèques de la valorisation des entreprises.

Sortie de l’EURO STOXX 50 : comment enrayer la spirale négative ?

La capitalisation boursière d’une entreprise étant une simple multiplication (cours de l’action x nombre d’actions en circulation), la baisse du cours entraîne mécaniquement la baisse de la capitalisation boursière de notre Groupe, tombée à 24 Mds€. Nous voilà sortis du club des 50 premières capitalisations d’Europe, regroupées dans un indice, l’EURO STOXX 50, utilisé par de nombreux gestionnaires de fonds indiciels, qui achètent automatiquement les valeurs qui le composent. C’est en perspective moins d’achats d’actions Orange sur les marchés, ce qui continuera de tirer le cours vers le bas.

Augmenter le montant du dividende ne fera en rien remonter le cours : tout au contraire, la distribution continue de dividendes élevés dégrade la valeur patrimoniale de l’entreprise, reproduisant sur le long terme le phénomène que nous connaissons à chaque versement de dividende : systématiquement, le cours de l’action diminue du même montant. Il ne remonte ensuite que si les investisseurs croient que la stratégie est porteuse de croissance et de valeur. Or, en 10 ans, notre entreprise a distribué 21,2 Mds€ de dividende, presque l’équivalent de notre capitalisation actuelle, et, on l’a vu, la stratégie présentée ne convainc plus.

L’argent ainsi distribué ne revient jamais dans l’entreprise. Seule une petite partie des actionnaires réinvestit les dividendes en actions Orange (notamment les personnels qui détiennent des parts C dans le fonds Orange Actions du PEG), mais l’essentiel de cette distribution n’a participé ni à l’investissement dans nos activités productives, ni à des achats massifs d’actions qui auraient contribué à soutenir le cours. Faute de stratégie séduisante pour les investisseurs, il n’y a plus que les personnels du Groupe qui veulent croire au futur et soutenir l’entreprise. Raison pour laquelle la CFE-CGC Orange et l’ADEAS demandent la baisse du dividende depuis plusieurs années, et une montée au capital des personnels, qui permettrait à la fois d’avoir plus d’influence sur la stratégie du Groupe, et de constituer un rempart efficace en cas d’OPA inamicale : avec la baisse de sa capitalisation boursière, notre Groupe pourrait désormais devenir une cible, alors qu’un retour des consolidations en Europe se profile dans le secteur des télécoms.

Croire en ce que l’on fait indépendamment des marchés boursiers, en innovant pour répondre aux besoins actuels et futurs de nos clients, c’est la clef de la réussite, la seule stratégie qui vaille. Celle que la CFE-CGC Orange défend dans toutes les instances où elle vous représente. Il est temps que nous soyons entendus : le pilotage purement financier a définitivement démontré son inefficacité.

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