Stratégie : dégage2025 ?
Rédigé par Hélène MARCY le . Publié dans Participation, Intéressement et Actionnariat.
Quelle est vraiment la stratégie du plan Engage2025 ? Face à un chiffre d’affaires qui décroît en euros constants, tout semble fait uniquement pour tenter (en vain ?) de plaire aux marchés financiers : découper nos activités en filiales « pures players » - appréciées des analystes car leur business est plus facile à analyser et à prévoir - et valoriser à court terme les actifs de l’entreprise, pendant que le plan Scale Up vise à comprimer les coûts et les effectifs, principalement en France et en Europe. Quels projets d’avenir pour assurer la croissance, étendre notre empreinte géographique ou développer de nouvelles activités de croissance ? Aucun n’est lisible.
Vente à la découpe…
Séparation des actifs réseaux…
Comme évoqué dans notre précédente lettre, ces projets apporteront peu ou pas de croissance du chiffre d’affaires.
Pour Orange Concessions, qui rassemble nos contrats RIP pour les réseaux de fibre en France, il s’agit essentiellement de sortir les investissements des comptes d’Orange, pour enjoliver les résultats présentés aux marchés, et récupérer du cash pour verser des dividendes que les seuls bénéfices ne suffisent plus à financer. Et si en France la Direction argue que les RIP ne nous appartiennent pas, en Pologne ce sont nos propres infrastructures qui font l’objet de la même opération.
La création de Totem, la TowerCo qui rassemblera nos infrastructures mobiles passives, en France et en Espagne pour commencer, est censée faire remonter le cours de l’action Orange. Mais les opérations similaires réalisées par d’autres opérateurs (Telecom Italia avec INWIT, Vodafone avec Vantage, ou Deutsche Telekom) sont loin de démontrer l’efficacité de ce type de stratégie. Si les TowerCo font un beau parcours boursier, cela ne relève pas le cours de leur maison mère, comme le souligne un récent article (dans la revue de presse interne du 10 mai 2021), qui fait les mêmes analyses que la Commission économique du Comité Economique et Social Central (CSEC) de l’UES Orange, piloté par la CFE-CGC. Reste à savoir si tous les objectifs nous ont été annoncés : la consolidation par les réseaux, avec Vodafone ou Deutsche Telekom, avec lesquels nous avons déjà des collaborations, pourrait être le véritable objectif. Mais le fait de laisser toutes les portes ouvertes (on pourrait aussi faire entrer des fonds d’investissement ou mettre Totem en bourse dans le futur) laisse songeur sur la robustesse de la vision stratégique de nos dirigeants. Et que dire du projet « First », découvert dans la presse, qui envisagerait le rachat de TDF… que France Télécom a cédé entre 2002 et 2004 ? Jouons-nous au Monopoly ou avons-nous une stratégie à long terme ?
En outre, au prétexte de les développer, on déporte les activités rentables en filiales, tandis que la maîtrise d’œuvre d’activités comportant des risques financiers, tels que les dépassements de budget ou des pénalités de retard, reste confiée à Orange SA, avec des taux de marge faibles qui n’amélioreront pas les comptes de la maison mère.
Enfin, le volet social de ces opérations est toujours le parent pauvre. Pour Orange Concessions, nos représentants ont dû se battre pour obtenir un accompagnement digne d’un grand groupe pour celles et ceux qui rejoindront la filiale. Pour Totem, il faut recommencer l’exercice. Et se préparer au même « détourage » en Pologne et dans les autres pays d’Europe où nous disposons d’un réseau mobile. Les aspects opérationnels sont oubliés, et les équipes se préparent à gérer de la complexité, résultant de la multiplication des structures.
… mise en bourse d’Orange Cyberdéfense…
C’est par la presse que nous avons appris qu’Orange Cyberdéfense (OCD) pourrait faire l’objet d’une introduction en bourse, le banquier d’affaires Jean-Marie Messier étant saisi du dossier. Après une série de dénégations internes, l’inscription d’un projet « CyberCo » à l’ordre du jour du Comité de Groupe européen confirme que le projet est bien dans les cartons. Il a déjà fait des dégâts : d’évidence, il a contribué au départ de Michel Van Den Berghe, ce qui prive la filiale d’un dirigeant connaissant le métier et ayant la confiance des équipes. Cela permettra-t-il à OCD de mieux se développer ou de faire des opérations de croissance externe plus pertinente ? La question reste posée… mais une supposée valorisation financière immédiate est le premier objectif, comme en témoigne la réponse de la Direction à nos questions écrites lors de l’AG des actionnaires 2021 : quand nous interrogeons sur les objectifs « business », on nous répond « valorisation boursière à 20 fois l’EBITDaal au lieu de 5 fois pour un telco européen ». Mais une mise en bourse n’enrichira potentiellement que les acheteurs du nouveau titre. En revanche, même si Orange Cyberdéfense est de mieux en mieux positionnée dans le paysage européen, avec 768m€ de CA en 2020 et un taux de croissance de 6% en 2020, cela reste une structure modeste au niveau financier. Pourquoi vouloir partager si tôt la valeur créée avec des actionnaires ? S’agit-il d’en céder le contrôle ? Quant aux synergies avec les équipes d’Orange Business Services, maison mère et filiales, qui font aujourd’hui la force d’OCD, elles seront mises à mal par cette séparation.
… cessions partielles pour Orange Bank et OCS (ex Orange Cinéma Séries).
Les contenus ont longtemps été considérés comme un levier de croissance et un outil de fidélisation de nos clients. Mais si le chiffre d’affaires et le nombre d’abonnés se développent, la profitabilité n’est pas au rendez-vous. Il serait donc question de chercher un nouvel actionnaire pour OCS. Outre la difficulté à le trouver dans ce contexte, cela permettra-t-il de résoudre l’équation du bon équilibre entre le budget à consacrer pour avoir des programmes attractifs et la capacité d’Orange à rentabiliser l’offre ?
Côté Orange Bank, les détracteurs du projet de diversification le plus ambitieux restent nombreux : la focalisation sur les chiffres bruts met en évidence une perte opérationnelle cumulée de 643 m€ en un peu plus de 3 ans (fin 2017- 2020). Mais s’implanter dans une nouvelle activité demande du temps : Orange Money a mis près de 10 ans pour devenir bénéficiaire, et il faut noter que les néo-banques courent toutes après la rentabilité. Surtout, Orange Bank a une spécificité : c’est la seule telco-banque, destinée à alimenter notre stratégie multiservices, pour renforcer la place d’Orange dans le quotidien de nos clients. Comme la CFE-CGC Orange l’a souligné, Orange Bank contribue aussi à la rentabilisation de nos boutiques et à la fidélisation des clients. La synergie avec nos activités télécom est évidente lorsqu’il s’agit de financer l’achat d’un mobile ou de l’assurer, sans parler de la cohérence avec le service Orange Money, qui lui ouvre les portes en Afrique. Le rythme d’acquisition des clients en Côte d’Ivoire, où Orange Bank a été lancée fin juillet 2020, est prometteur : avec plus de 350 000 clients en 5 mois, l’ouverture de comptes va deux fois plus vite qu’en Europe, qui comptait 1,2 millions de clients (France + Espagne) fin 2020. Notons enfin que la part de clients souscrivant une offre payante est passée de 15% à 75%, ce qui améliore la rentabilité intrinsèque de l’offre, et montre que son utilité est perçue par les clients.
Si le lancement du service dans de nouveaux pays nécessite des investissements que Groupama ne voulait plus accompagner - ce qui a stoppé l’ouverture en Slovaquie - on s’interroge sur la pertinence d’une alliance avec BNP Paribas. Quel serait l’intérêt d’une banque à pousser le développement d’un concurrent ? D’autant qu’elle a déjà indiqué vouloir prendre la majorité du capital d’Orange Bank. Un danger potentiel pour l’autonomie d’Orange Bank et sa capacité à déployer toutes les synergies identifiées avec l’opérateur télécom !
… plutôt qu’investissements productifs
Ce qui ressemble à un démantèlement laisse la désagréable impression que la Direction a perdu confiance dans la capacité de ses équipes à développer les activités d’Orange et ses propres services. L’analyse des succès dans le secteur du numérique démontre pourtant que ce sont par les développements internes que l’on peut renforcer la différenciation des offres et la fidélisation des clients, en bénéficiant pleinement de la valeur dégagée. Il est vrai que cela suppose à la fois d’accepter la prise de risque entrepreneurial, de croire en ses propres forces ou de se doter des compétences nécessaires, et de se projeter sur le moyen terme.
Baisser le dividende pour investir en R&D
La décroissance régulière, depuis dix ans, des budgets de recherche & développement (672m€ et 1,6% du CA en 2019, 643m€ et 1,5% du CA en 2020) témoigne du renoncement. D’autant qu’il s’agit souvent de piloter le déploiement de solutions achetées à des fournisseurs externes, comme il a été décidé de le faire pour Orange Money, qui sera confié à Ericsson, en dépit des alertes des équipes et de la CFE-CGC Orange.
Dans le même temps, et bien qu’Orange soit toujours dans un cycle d’investissement fort pour le déploiement des réseaux FTTH et 5G, le dividende reste à un niveau trop élevé pour dégager les marges de manœuvre nécessaires à la construction effective et à la bonne échelle de relais de croissance porteurs d’avenir et d’emplois.
Quel que soit le ratio considéré, Orange distribue trop de dividende.
Rendement de l’action = dividende / cours de l’action. Un rendement considéré comme raisonnable ne dépasse pas 5%. Au titre des résultats 2020, il sera d’environ 8,5% chez Orange, et il est au-dessus de 5% depuis 3 ans. Pay-out ratio : il peut être calculé par rapport au résultat net (dividende / résultat net) ou au cash-flow organique, qui correspond à la trésorerie dégagée par l’activité opérationnelle de l’entreprise (dividende / cash-flow organique). Le second ratio est plus significatif : en 2020 par exemple, la restitution fiscale de 2,2Mds€ est venue gonfler le résultat net de l’entreprise, mais ne correspond pas à l’activité réelle de l’année. Un ratio de distribution raisonnable se situe entre 40 et 60%. Mais l’entreprise verse chaque année plus de dividende que le cash généré par l’activité.
La CFE-CGC Orange prône une politique de distribution plus raisonnable permettant, sans recourir à trop d’emprunt, de déployer une stratégie industrielle de croissance, soit par extension de sa présence géographique, soit par l’investissement dans de nouvelles activités, par croissance organique (développement de nouveaux services par les équipes du Groupe) ou par croissance externe (acquisitions d’entreprises possédant les compétences et/ou un portefeuille de clients dans le domaine considéré). |
Aucun nouveau projet en Afrique ?
La zone Afrique est la seule zone porteuse d’une véritable croissance dans notre activité d’opérateur.
L’Éthiopie était le dernier pays d’Afrique à ouvrir son marché, en annonçant fin 2020 un processus d’attribution de licences. Orange avait, très tôt, manifesté son intérêt… mais a finalement renoncé à poser sa candidature, sans en expliciter les raisons. Le paiement mobile était exclu des licences de téléphonie mobile, pour en laisser le monopole à l'opérateur historique Ethio Telecom, qui vient de lancer son service. Le motif qui a découragé Orange ? Le Groupe pourrait cependant envisager d’entrer au capital de l’opérateur historique, qui prévoit de céder 40% de son capital. A suivre donc.
La filialisation d’Orange Afrique Moyen-Orient (OMEA) ouvrait la porte à une cotation en bourse, qui aurait pu favoriser des rapprochements par échanges d’actions. Un projet d'alliance avec Airtel avait été évoqué par le passé… mais les réponses du Conseil d’administration d’Orange à nos questions lors de l’AG des actionnaires 2021 n’ouvrent aucune piste pour l’immédiat : aucun projet de cotation d’OMEA pour le moment, tandis que le Groupe « reste attentif à toutes les opportunités de développement qui peuvent se présenter dès lors qu’elles sont créatrices de valeur pour ses actionnaires », sans objectif concret.
Renforcer Orange Business Services ?
Se rapprocher d’acteurs complémentaires sur des segments d’activité en croissance constitue également un levier de développement.
La CFE-CGC Orange a proposé d’utiliser une partie des 2,2Mds€ de restitution fiscale afin d’envisager un rapprochement avec Atos, pour accélérer dans trois segments de croissance : cloud, cyberdéfense, data & IA (intelligence artificielle). De nombreux analystes ont considéré le projet pertinent … en dépit du démenti d’Orange.
Notre suggestion d’étudier un rapprochement avec OVHcloud, leader européen de l’hébergement et l’un des rares acteurs à préserver la souveraineté numérique de notre pays et à respecter le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) a reçu un accueil plus aimable… mais c’est avec Capgemini qu’Orange a annoncé la création de « Bleu », pour fournir un « cloud de confiance » en France, tandis que Thales fait le sien avec Atos...
Développement des contenus ?
Plutôt que de chercher à céder une partie d’OCS, le Groupe aurait pu imaginer au contraire d’investir pour développer son offre et sa place sur le marché, par exemple en se portant candidat au rachat de M6 : Orange est le seul opérateur de télécommunications à ne posséder aucun média d’information, et ne se serait donc pas exposé aux foudres de l’Autorité de la concurrence.
Orange aurait également pu participer à la plateforme Salto, dont l’un des objectifs est de ne pas laisser les acteurs états-uniens (Amazon, Netflix, Disney+ ou Apple TV) prendre toute la place sur nos écrans.
Deux projets qui auraient pu faire sens pour compléter et renforcer OCS. Mais il n’en a jamais été question.
On le voit, les possibilités de développement industriel ne manquent pas dans un secteur des télécommunications et du numérique dont les usages ont été boostés par la crise sanitaire. Encore faut-il avoir un projet industriel de développement, porteur d’intérêt à la fois pour nos clients, nos investisseurs et les personnels de l’entreprise. Le mandat de Stéphane Richard s’achevant en mai 2022, il reste un an aux personnels actionnaires pour faire savoir qu’ils souhaitent découpler les postes de Président du Conseil d’administration et de Directeur Général, et trouver de nouveaux dirigeants volontaires et visionnaires, pour développer une stratégie offensive et motivante pour toutes les parties prenantes.
Extrait de notre Lettre de l'Epargne et de l'Actionnariat salariés #2/2021
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