Tribune de Sébastien Crozier dans le Figaro : «En matière de télécoms, l’Union européenne doit abandonner la foi aveugle dans la concurrence».

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 FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour le président de la CFE-CGC Orange, Sébastien Crozier, l'ouverture à la concurrence dans le domaine des télécoms a eu des conséquences délétères pour les salariés comme pour les citoyens. Face à ce constat, seule une politique volontariste est susceptible de réconcilier les salariés et la construction européenne, plaide-t-il.

À quelques jours des élections européennes, l'économie et le social demeurent les grands absents du débat public. Les candidats préférant s'escrimer sur la situation internationale, l'immigration ou la constitution de coalitions au Parlement européen, ils en oublient les ressorts principaux de l'Union européenne : le marché et les travailleurs. Personne pour discuter le bilan de 30 ans d'intégration économique et d'harmonisation sociale. Personne sauf les Français, à commencer par les travailleurs des secteurs libéralisés par l'UE, qui s'apprêtent à voter en nombre contre la poursuite de cette politique.

Le président de la République et le chancelier allemand nous ont offert une tribune commune pour appeler à «renforcer la souveraineté européenne». Un exercice de style qui devient habituel à l'approche des échéances électorales avec le tiercé dans l'ordre : constats alarmistes, promesses vagues et propositions intenables avec les institutions européennes actuelles.
Inutile et vain. Depuis 20 ans, l'UE et ses promoteurs s'agitent tandis que la zone euro décroche face à ces concurrents. De l'Europe sociale à l'Europe souveraine, les formules passent et les dégâts se multiplient dans la vie quotidienne de millions de travailleurs.
Nous sommes à la croisée des chemins. Depuis le traité de Maastricht, l'Europe s'est concentrée sur la constitution d'un marché commun, où l'existence de la concurrence est le seul critère de réussite. Résultat : des champions nationaux fragilisés, des services publics privatisés, et des concurrents ayant émergé dans les secteurs d'infrastructures de réseau. Conséquence ? Une baisse relative des prix pour les consommateurs, mais au détriment de la solidité financière des entreprises, de la filière industrielle et de l'emploi. Si nous continuons à exposer nos secteurs économiques à cette dérégulation, la prochaine crise économique sera dévastatrice. Le secteur des télécoms en est un triste exemple.

 

Dans ce secteur, l'ouverture à la concurrence a pénalisé autant les salariés que les citoyens éloignés des zones favorisées. Seuls les consommateurs des zones denses bénéficient d'une couverture de qualité à bas prix. L'arrivée d'un quatrième opérateur mobile en 2011 en France a eu des conséquences catastrophiques. Entre 2011 et 2021, le secteur des télécoms français n'a connu aucune croissance de ses revenus, et le secteur européen, où le dogme des quatre opérateurs par pays (contre trois en Chine et aux USA) est la norme, a plafonné à 1% en moyenne, contre 6% pour les opérateurs asiatiques et 4% pour les Américains. L'ouverture à la concurrence, censée rendre les entreprises «plus compétitives», est un échec.
Mais les dégâts ne s'arrêtent pas là. En plus de fragiliser un secteur stratégique, l'Europe a privilégié le pouvoir d'achat des consommateurs au détriment de l'emploi. En 2002, les opérateurs employaient 145.000 personnes. 20 ans plus tard, ce chiffre est tombé à 98.000. Depuis 2013, le nombre d'employés diminue de 3 000 à 4 000 par an. Chez Orange, 30.000 postes ont été supprimés en dix ans, soit près de 30% des effectifs.
L'ouverture à la concurrence et les règles européennes ont encouragé les délocalisations (comme les centres d'appels) et la perte de filières industrielles. On nous avait promis une Europe forte, une Europe qui protège. Nous avons eu une Europe discount : des prix en baisse, au détriment de nos emplois et de notre avance technologique. Aujourd'hui, cette Europe discount dégrade la qualité : pour survivre, les opérateurs rognent sur la qualité, leurs marges, et leurs investissements dans les infrastructures mais aussi dans le numérique. Ce contexte favorise la sous-traitance en cascade, multipliant les incidents techniques (parfois graves comme l'interruption des numéros d'urgence) et précarisant les travailleurs, souvent contraints de devenir autoentrepreneurs rémunérés à la tâche.
Les salariés du secteur des télécoms, comme les Français, ont ressenti ces abandons successifs de l'Europe. Les discours n'ont pas résisté à la réalité des faits, et la confiance dans la construction européenne en pâtit. C'est pour ces raisons qu'ils ont rejeté le traité de Lisbonne en 2005 et qu'ils votent désormais majoritairement pour des partis remettant en cause la construction européenne. 

Dans les télécoms comme dans d'autres secteurs, seule une politique volontariste est susceptible de réconcilier les salariés et la construction européenne. Pour que l'Europe ait un avenir pour ses salariés citoyens et que le vote de défiance se réduise, il faut passer des discours aux actes !

C'est à ces conditions que nous pourrons recréer de l'emploi en Europe et redéfinir le partage de la valeur entre les opérateurs et les GAFAM pour financer le développement des infrastructures dans les territoires isolés. Le président français et le chancelier allemand veulent une Europe souveraine ? Cela nécessite d'abandonner la foi aveugle dans la concurrence. Aidons nos champions nationaux et européens en autorisant les fusions réduisant le nombre d'opérateurs au sein de chaque pays plutôt qu'en les freinant ou recréant de nouveaux concurrents. Unifions nos réglementations (exploitations des fréquences, droits des consommateurs, fiscalité, obligations de couverture, neutralité du net, réquisitions judiciaires, péréquation tarifaire pour le roaming), interdisons le traitement et l'exploitation de nos données télécoms (particulièrement sensibles en ces périodes de cyberattaques) hors de l'UE, mettons fin aux délocalisations, arrêtons le recours aux travailleurs détachés non européens pour le génie civil de nos infrastructures télécoms, etc.

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