Résultats 2020 : Danse du scalp ou danse de la pluie ?
Rédigé par Hélène Marcy & David Couchon le . Publié dans Participation, Intéressement et Actionnariat.
Selon les communiqués de presse d’Orange, les résultats du Groupe sont toujours « excellents », « solides », ou « résilients malgré la crise ». L’annonce des résultats 2020 ne déroge pas à la règle. Les personnels sont cependant de plus en plus conscients qu’il s’agit là d’un discours à l’adresse des marchés financiers, censé déclencher une remontée du cours de l’action Orange… qui ne se produit jamais. Le cours a même chuté (jusqu’à -5%) le jour de la publication des résultats 2020, couplée avec l’annonce de Totem, la TowerCo d’Orange.
Si le CA (chiffre d’affaires) global est en légère croissance (+0,3% à 42,3Mds€), l’EBITDAal (marge) est en baisse de 1%, en dépit d’une baisse des eCapex (investissements) de 1,7%. Le résultat net, en forte hausse, est dopé par la restitution fiscale de 2,246Mds€ intervenue en fin d’année : sans cette manne, il aurait été inférieur à celui de 2019 (2,809Mds€ / 3,2Mds€ en 2019). Le Cash-Flow Organique* ressort à 2,5Mds€. Mais les analystes ne croient visiblement pas à la promesse d’un cash-flow à 3,5 ou 4Mds€ en 2023. Le cours de l’action reflétant en principe une espérance de valeur future, ceci explique peut-être cela.
*Cash-flow organique
Le cash-flow organique mesure le cash généré par l’activité de l’entreprise.
Chez Orange, il est calculé à partir de EBITDAal – eCapex, dont on déduit notamment les remboursements des dettes locatives et des dettes sur actifs financés, les acquisitions et cessions d’immobilisations, les impôts décaissés.
Pour les analystes et les créanciers, il permet d'appréhender la solvabilité et la pérennité d'une entreprise, d’identifier l'aptitude de l'entreprise à financer ses investissements à partir de son exploitation, et sa capacité instantanée à distribuer des dividendes à ses actionnaires.
Transformation façon puzzle
2020 et 2021 ont été présentées comme un tournant majeur de la transformation du Groupe, notamment via la filialisation des actifs réseaux.
Orange Concessions est lancée…
Dévoilée le 22 janvier dernier, elle rassemble tous les contrats de RIP (Réseaux d’Initiative Publique, c’est-à-dire subventionnés par de l’argent public) signés par Orange pour le déploiement de la Fibre, en particulier dans les zones rurales françaises. La valorisation de ces actifs à près de 2,7 Mds€ par des partenaires financiers que l’on peut considérer comme solides et sérieux (Banque des Territoires de la Caisse des Dépôts, CNP, EDF Invest) n’a pas fait bouger le cours de l’action Orange, contrairement aux espérances de la Direction. Le partage du capital de cette filiale à 50/50 lui donne les moyens de s’endetter pour investir et potentiellement racheter d’autres acteurs tout en limitant les eCapex remontés dans les résultats d’Orange. Mais l’opération ne constitue pas, en soi, un levier de croissance « business » pour le Groupe. Rien n’est dit sur le retour attendu par lesdits investisseurs pour rémunérer leurs apports dans Orange Concessions : est-il possible qu’on leur ait promis le même rendement que celui de l’action Orange (actuellement de 9%) ? La nouvelle filiale comptera une centaine de salariés, pour partie en provenance d’Orange SA. Les négociations sont en cours pour que les transferts de contrats s’accompagnent de garanties solides, afin que les personnels volontaires pour rejoindre la filiale n’y perdent rien (à suivre dans les CR des CSEE concernés).
… Totem est annoncée
La TowerCo d’Orange, déjà plusieurs fois évoquée, se constituera en 2021 avec 25 500 tours, 17 600 en France et 7 900 en Espagne. Les TowerCo étant mieux valorisées que les opérateurs de télécommunications sur les marchés boursiers (jusqu’à 22 fois l’EBITDA alors qu’Orange n’est actuellement valorisé que 2 fois son EBITDAal), l’objectif est d’abord, comme pour Orange Concessions, de mettre en évidence la valeur des actifs détenus par Orange. La filiale ne sera cependant pas mise en bourse au démarrage, même si rien n’est exclu pour le futur. Dans un premier temps, c’est la remontée du cours de l’action Orange qui est attendu. Il s’agit ensuite de développer le chiffre d’affaires en augmentant le taux d’occupation des tours, actuellement de 1,3 opérateurs par tour en moyenne, un peu plus élevé en Espagne (où nous partageons déjà notre réseau avec Vodafone), à la faveur notamment des déploiements 5G et de l’IOT (Internet des objets), qui nécessiteront une densification des réseaux mobiles. La filialisation doit enfin permettre de participer à des opérations de consolidation, préférentiellement avec des TowerCo appartenant à des opérateurs de télécommunications, comme Vantage (Vodafone), T-Mobile Infra (Deutsche Telekom), ou des opérateurs n’ayant pas encore externalisé leurs tours. Pas question pour Orange de les vendre pour récupérer du cash : pour Stéphane Richard, il s’agit d’actifs stratégiques et cœur de métier. On peut donc s’étonner que fin 2019, Orange Espagne ait vendu 1 500 sites à Cellnex, premier opérateur d’infrastructures passives en Europe avec bientôt 120 000 sites, qui possède notamment les tours de Bouygues Télécom, Iliad (Free), Altice (SFR), ainsi qu’une partie des tours de Telefonica en Espagne. Manque de vision ? « Pure player » contre telco TowerCo, le match sera lancé cette année. Pour sa part, le PDG de Cellnex se voit déjà rachetant les tours d’Orange.
Résultats contrastés et croissance modérée
Toutes nos géographies ont souffert de l’impact du Covid-19 sur au moins 3 plans : perte du chiffre d’affaires lié au roaming (frais d’itinérance à l’international), surcoûts liés à la crise sanitaire (équipements de protection des personnels et de nos sous-traitants, surcoûts techniques de déploiements pendant les périodes de confinement…), périodes de fermetures des boutiques impactant notamment la vente de terminaux.
France : performances commerciales et co-financements
Le CA France progresse de 1,6% en 2020 (+ 6% pour Bouygues Télécom, + 2,7% pour SFR). Les performances commerciales sont considérées comme bonnes, avec un record de ventes Fibre au T4, mais Bouygues Télécom nous devance largement sur le mobile (+ 606K clients sur l’année / 183K pour Orange) et se renforce sur la fibre (+ 604K clients sur l’année / 1178K pour Orange).
Ce qui sauve les résultats 2020 sur la France, ce sont :
- d’une part les co-financements de nos déploiements Fibre, impactant à la fois le chiffre d’affaires (à la hausse) et les eCapex (à la baisse). Si celui de Free (pour 400m€) avait été dévoilé au T2, les montants et les acteurs concernés au second semestre ne sont plus indiqués;
- d’autre part les constructions de tours pour le compte d’autres opérateurs, qui apparaissent dans la ligne « autres revenus ».
Les co-financements, non récurrents, ne seront pas forcément au rendez-vous en 2021 : ils relèvent de la stratégie des opérateurs, non de notre efficacité commerciale. Quant aux accords avec Free sur nos réseaux mobiles, fin janvier, Orange a mis fin aux discussions sur la 5G … pour éviter de se retrouver dans la même situation qu’en Espagne, où les accords imprudemment signés avec MàsMóvil ont permis à ce dernier de casser les prix, mettant Orange en grande difficulté.
Europe : l’Espagne siphonne les résultats
Les performances commerciales sont bonnes dans les différents pays d’Europe, mais les mauvais résultats de la péninsule ibérique, liés à la guerre des prix dans un contexte économique particulièrement fragilisé par la crise sanitaire, effacent toutes les autres performances. Si l’hémorragie des clients est stoppée, c’est au prix d’un réajustement de nos tarifs à la baisse, qui ampute les marges. Il faudra probablement 12 à 18 mois pour redresser la situation. A telle enseigne qu’un analyste a suggéré qu’Orange vende ses opérations en Espagne. Mais, si le Groupe se déclare prêt à participer à une consolidation locale (peu probable en raison des règles européennes), il n’est pas vendeur. Nous pourrions ajouter perfidement que les rachats effectués en Espagne, (Amena en 2005, Ya.com et l’opérateur régional catalan AL-PI en 2007, Simyo en 2012, Jazztel en 2015) pour nous implanter sur ce marché nous ont coûté suffisamment cher pour qu’on ne vende pas au pire moment et à vil prix.
Afrique et Moyen-Orient résistent à la crise sanitaire
Si les revenus d’Orange avaient chuté au deuxième trimestre au-delà de la Méditerranée, ils ont repris de la vigueur au second semestre : le CA affiche une croissance annuelle de 5,2%, portée par la data, le très haut débit et davantage encore par les services financiers d’Orange Money et d’Orange Bank (+ 21%). L’EBITDAal croît de 10%, et le niveau de marge aura bientôt rejoint celui de la France. Peu de nouveaux projets en vue cependant sur l’Afrique, hors l’Ethiopie, où Orange reste candidate à l’obtention d’une licence de téléphonie mobile. Le continent ne sera pas concerné, pour le moment, par le projet Totem.
Entreprise : la transformation se poursuit
Le chiffre d’affaire 2020 sur le marché des entreprises est en repli de 1,4%, impacté par la crise sanitaire qui a retardé les projets de nos clients en milieu d’année. Une bonne reprise de l’IT et des services d’intégration au dernier trimestre, portée notamment par la cyber sécurité et le cloud (respectivement 9% et 6% de croissance du CA annuel, très en dessous cependant de nos concurrents), ne compensent pas la baisse continue du CA voix et data.
Silences préoccupants
On notera pour finir l’absence de toute présentation spécifique des résultats d’Orange Bank et des services financiers, dont une partie est intégrée aux bons résultats en Afrique. Etait-ce en lien avec un projet de désengagement ? Pour la CFE-CGC Orange, Orange Bank est un actif clef, qu’il convient surtout de développer.
Enfin, la page consacrée aux engagements RSE (Responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise) d’Orange n’a été mentionnée que pour mémoire, sans qu’on prenne même le temps d’en lire le contenu lors des présentations aux élus des Comités de Groupe. Doit-on en conclure que la Direction des Relations avec les Investisseurs s’en moque ? Inclusion numérique, baisse des émissions de CO2, accélération de la collecte des mobiles usagés, et alignement de la présence des femmes dans les réseaux de management sur leur poids au sein du Groupe sont au programme. Souhaitons qu’en interne, ces thèmes, de plus en plus mobilisateurs pour les personnels, soient mieux valorisés et mis en œuvre.
Perspectives 2021 : quand est-ce qu’on danse ?
Si la Direction affiche, y compris en interne, la volonté de repartir à la conquête de chiffre d’affaires, ce qui est en soi une bonne nouvelle, les leviers d’action concrets pour y parvenir restent à préciser : la présentation des résultats, orientée investisseurs, a surtout parlé d’optimisation.
Plan d’économies
Le plan Scale Up, déjà rebaptisé « scalp-up » par les mauvais esprits, doit produire 1Md€ d’économies nettes à l’horizon 2023. L’Afrique-Moyen-Orient et les activités IT & services d’intégration, en phase de croissance, ne seront pas concernés. La France portera les 2/3 de l’effort, dont un dixième pour l’immobilier (avec probablement une accélération du flex-desk en lien avec la pérennisation d’une dose de télétravail plus conséquente qu’avant la crise Covid). La masse salariale devra fournir la moitié de l’effort (500m€), avec la négociation d’un nouvel accord d’entreprise ayant pour objectif d’accélérer les départs des personnels en fin de carrière (sur la base du volontariat), et de rééquilibrer les effectifs entre les activités opérationnelles (commercial et technique) et les fonctions support. La CFE-CGC Orange prône depuis longtemps le renforcement des équipes opérationnelles, qui produisent le chiffre d’affaires, et l’allègement des processus. Nos représentants seront donc particulièrement attentifs aux mesures proposées. Accompagner les départs de celles et ceux qui le souhaitent, pourquoi pas, mais à condition d’offrir des perspectives positives aux personnels qui resteront au sein du Groupe, en maison mère et en filiale, et d’enrayer l’inflation de la sous-traitance, qui coûte plus cher qu’on ne le croit, financièrement parlant, mais aussi en termes de qualité de service. Si l’on veut que nos investissements dans les réseaux de Fibre, ou les scores NPS (Net Promoters Score, scores de recommandation par nos clients sur les différents marchés, dont l’impact sur les ventes n’est pas démontré) dont la Direction est si fière soient pérennes, il faut certainement envisager de ré-internaliser certaines activités.
Quid des 2,2 Mds€ de restitution fiscale ?
600m€ seront consacrés au rachat des actions d’Orange Belgium, 500m€ à la transformation du Groupe (sans précision, s’agit-il des mesures de fin de carrière ?), 400m€ à des investissements dans les réseaux, en France et en Afrique-Moyen-Orient, (il serait légitime d’investir plus sur nos territoires de croissance, qui représentent désormais 14% du CA d’Orange), 100m€ à la RSE (Responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise).
L’ORP (offre réservée aux personnels), qui nous proposera, en France et à l’international, d’acquérir 30 millions d’actions Orange, est chiffrée pour 100m€, budget prévu par la Direction pour financer une décote et un abondement permettant d’obtenir les actions dans des conditions avantageuses. Les détails de l’opération qui se déroulera à partir de septembre pour une livraison des titres en décembre sont encore en discussion. Nous lui consacrerons un numéro spécial dès que les modalités définitives en seront connues.
Le budget dédié à un supplément de dividende de 0,20€ par action se monte à 520m€, et s’ajoute au dividende de 0,70€ par action proposé au titre des résultats 2020. Une distribution qui contribue à limiter nos capacités à faire une acquisition majeure, et signe un manque d’ambition de la part de nos dirigeants, sans doper le cours boursier pour autant.
Globalement, la présentation des résultats et les orientations stratégiques laissent l’impression pénible d’une gouvernance focalisée sur le cours de l’action, sur un marché particulièrement volatile, obnubilé par la rentabilité à court terme et qui se défie des investissements de long terme.
Nos dirigeants, par ailleurs de plus en plus investis dans des conseils d’administration d’entreprises ou organisations extérieures au Groupe, ce qui interroge, peinent à engager notre entreprise dans un projet de développement pérenne et motivant pour toutes les parties prenantes.