Pages Jaunes / Solocal : Une entreprise rentable empoisonnée par un LBO

cours action solocal

Source : https://www.solocal.com/investisseurs-et-actionnaires/action-solocal

Désengagement de France Télécom

À l’époque, pour la CFE-CGC Orange, ce désengagement est une erreur stratégique, qui prive France Télécom d’actifs qui ont fait la fortune des GAFAM : l’application de cartographie Mappy (ex 3617 ITI), longtemps parmi les leaders, et les outils d’intermédiation qu’étaient les annuaires.

Au total, la vente de Pages Jaunes a rapporté plus de 5 Mds€ à France Télécom, au travers d’une opération en trois étapes :

Juillet 2004 : France Télécom introduit Pages Jaunes en bourse, et encaisse 1,4 Mds€ en échange de 38 % du capital. L’action cote un peu plus de 14 €. Le chiffre d’affaires frise 1 Mds €, la marge brute est de 400 m€.

Février 2005 : 8% du capital est cédé par FT à des investisseurs institutionnels pour 440 m€ (19,75 € par action). La publication des comptes préalable à l’AG des actionnaires indique que l’objectif est de distribuer l’intégralité des résultats de l’exercice en dividendes.

Fin 2006 : pour désendetter le Groupe, les équipes de Didier Lombard vendent les 54% du capital de Pages Jaunes encore détenus par France Télécom à Médiannuaire (holding contrôlée par Goldman Sachs et KKR), au prix de 3,3 Mds€, soit 22 € par action. Le CA a dépassé le milliard € et la marge brute atteint 463 m€.

Médiannuaire lance immédiatement une OPA et s’engage à verser un complément de 0,6 € par action si elle parvient à acquérir plus de 95% du capital de la société. L’acquisition se fait par LBO (leveraged buy-out) : elle est financée à 84% par de la dette. Les nouveaux propriétaires veulent se rembourser rapidement : en 2006, en complément du dividende ordinaire de 1,02 € par action versé en mai, un dividende exceptionnel de 9 € par action est versé en novembre, pour lequel une dette spécifique de 2,35 Mds€ est levée.

Dividendes versés par Pages Jaunes entre 2004 et 2011

versé en

au titre des résultats

dividende
/ action

total versé

(milliers €)

2004

2003

0,85 €

      235 959 €

2005

2004

0,93 €

      259 274 €

2006

2005

1,02 €

      283 994 €

2006

2005

9,00 €

   2 519 748 €

2007

2006

1,08 €

      303 071 €

2008

2007

0,96 €

      269 419 €

2009

2008

0,96 €

      269 453 €

2010

2009

0,65 €

      182 448 €

2011

2010

0,58 €

      162 697 €

 

Total

16,03 €

   4 486 063 €

Entre 2004 et 2011, l’entreprise a versé 4,4 Mds€ de dividendes (et n’en verse plus jamais ensuite). Fin 2011, la dette de Pages Jaunes se monte à 2 Mds€.

L’entreprise doit simultanément transformer son modèle économique, pour passer des annuaires imprimés au tout numérique. L’activité reste rentable (30% de marge), mais le poids de la dette est insupportable.

À lire aussi : Publication de Jean-Pierre Rémy, directeur général de Solocal jusqu’en septembre 2017, dans le Journal de l’École de Paris du management.

Restructurations de dette en cascade

En 2013, Pages Jaunes devient Solocal Group. Médiannuaire détient encore 55% de son capital, mais le fonds Cerberus, détient 75% de la dette de Médiannuaire, qui l’échange contre du capital. Cerberus opère ainsi une discrète prise de contrôle, avec 18,5% du capital et 28% des droits de vote. Il s’engage à conserver ses parts pendant au moins un an, mais la dette est toujours de 1,8 Mds€, et une nouvelle augmentation de capital se profile.

En février 2014, une augmentation capital de 400 m€ est annoncée, soit l’équivalent de la capitalisation boursière. L’objectif est de la consacrer au remboursement d’une partie de la dette, pour la faire tomber à 1,2 Mds€, soit moins de 3 ans d’EBITDA, et d’échelonner le reste. En bourse, c’est la douche froide.

Fin 2015, Solocal Group procède à un regroupement d’actions : 1 action nouvelle à 6 € pour 30 actions anciennes à 0,20 €. Mais le cours s’effondre à nouveau.

Fin 2016, il y a deux Assemblées générales des actionnaires. Le 19 octobre, la direction générale présente le plan qui vise à ramener la dette de 1,2 Mds€ à 400 m€. Les actionnaires devraient remettre 400 m€ au pot, tandis que les créanciers récupèreraient 380 m€ d’argent frais et une partie du capital de l’entreprise. Ce plan, qui favorise les créanciers au détriment des actionnaires, notamment des petits porteurs, est rejeté. Le 15 décembre, sous la menace du redressement judiciaire, il est finalement voté. La fronde menée par les actionnaires minoritaires (environ 10% des droits de vote) du Regroupement PP Local a échoué. En 2016, le CA est à 800 m€, la marge brute à près de 230 m€.

L’augmentation de capital, pour 398 m€, est réalisée en mars 2017. Les actions sont proposées au prix de 1€. À l’issue de l’opération, les créanciers (dont les fonds Monarch, Amber Capital et Paulson) détiennent près de 36% du capital. En septembre, un nouveau duo prend les rênes : Pierre Danon en tant que Président du Conseil d’administration, et Eric Boustouller (ancien président de Microsoft Europe) comme Directeur Général. Début 2018, Solocal annonce la suppression d’un millier d’emplois sur 2 ans. En juin, plusieurs accords sont signés avec les organisations syndicales. En 2018, le CA s’est replié à 670 m€, la marge brute à 4,5 m€. En 2019, le CA tombe à 584 m€, la marge brute remonte à 167 m€, et l’EBITDA récurrent s’est stabilisé. Début 2020, l’entreprise se pense donc tirée d’affaire, ayant achevé sa transition vers le 100% numérique et sa restructuration. La direction générale envisage un retour au versement de dividendes en 2021 ou 2022. Mais l’épidémie de Covid 19, où les commerces annonceurs dans les supports de Solocal sont contraints de fermer pendant les confinements, fait chuter le chiffre d’affaires (437 m€) et anéantit ces perspectives !

En octobre 2020, après une demande de prêt garanti par l’Etat et une offre du fonds français Montefiore rejetée par les créanciers, une nouvelle augmentation de capital est mise en œuvre, cette fois pour 336 m€. Le gestionnaire d'actifs GoldenTree devient son premier actionnaire avec 26% du capital. L’entreprise change à nouveau de Direction générale en 2021 et 2023. Mais le chiffre d’affaires ne se redresse pas (360 m€ fin 2023, pour 63,5 m€ de marge brute).

Début 2024, Solocal ne peut plus payer les intérêts de sa dette obligataire et doit procéder à une nouvelle restructuration financière. Le plan proposé par Ycor, société appartenant à l’emblématique Maurice Lévy, ancien PDG de Publicis et futur PDG de Solocal, retenu en avril, est validé début juillet par le Tribunal de Commerce de Nanterre. En plus d’un effacement substantiel de la dette, ramenée à 45 m€, et d’une augmentation de capital de 18 m€, il comporte un projet industriel susceptible d’offrir (enfin ?) des perspectives viables à Solocal et aux 2 750 salariés du nouvel ensemble consolidé. Mais c’est au prix d’une très forte dilution pour les anciens actionnaires : à l’issue de l’augmentation de capital qui s’est déroulée courant juillet, le capital et les droits de votes sont répartis comme suit :

repartition capital

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