Printemps arabe, printemps Orange.
Rédigé par Sébastien Crozier le . Publié dans Europe et International.
Depuis plusieurs années, la Direction de France Télécom a choisi de s’implanter en Afrique du Nord et au Moyen Orient. France Télécom s’y déploie par des prises de participation chez les opérateurs, mais aussi via son réseau de câbles. Les activités de consulting de Sofrecom permettent également de « reconnaître le terrain ».
Maroc
Comme nous l’évoquions dans une lettre précédente[1] France Télécom est désormais présent au Maroc avec 40% de l’opérateur mobile Meditel.
A quand le passage sous la marque Orange ?
Orange Tunisie
Dès le début des événements en Tunisie, la CFE-CGC/UNSA s’est inquiétée de la pérennité des investissements du Groupe.
En 2009, France Télécom a pris une participation de 49 % dans la société Divona[2], rebaptisée quelques mois plus tard Orange Tunisie. Cette société avait des activités d’opérateur télécoms principalement sur le marché entreprise et de fourniture d’accès à internet par l’intermédiaire d’une filiale, la société Planet. L’activité vient d’adopter la marque Orange.
Lors de la Conférence de presse de lancement d’Orange Tunisie, le 4 mai 2010[3], Didier Lombard avait déclaré : « Aujourd’hui Orange est heureux de s’associer à Marwan Mabrouk pour bâtir le premier réel opérateur convergent de Tunisie ». Le 25 février 2011 «Le Conseil des ministres a approuvé […] un projet de décret-Loi portant saisie des avoirs et des biens mobiliers et immobiliers appartenant à 110 personnes parmi les anciens dirigeants, leurs parents et leurs associés.»… dont l’actionnaire à 51% d’Orange Tunisie. Orange Tunisie est donc désormais sous contrôle de l’État Tunisien.
Les médias se sont faits l’écho des conditions de l’augmentation de capital. Que faut-il comprendre des 25 millions d’euros qui apparaissent dans les comptes de France Télécom comme un « écart d’acquisition » passé en provisions pour risques et charges l’année même où France Télécom investit 95 millions d’euros en augmentation de capital[4] ?
Début mai, la Direction de France Télécom a confié à Gimar Finance la mission[5] de débloquer la situation. Espérons que France Télécom pourra pérenniser son implantation en Tunisie.
Repères chiffrés
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clients Orange / FT[6] |
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population[7] |
fixe |
adsl |
mobile |
|
Maroc |
32 |
|
|
4 448 |
Tunisie |
11 |
|
58 |
426 |
Égypte |
77 |
|
227 |
30 351 |
Bahreïn |
0,8 |
|
NC |
|
Liban |
4,3 |
|
NC |
|
Jordanie |
6 |
498 |
161 |
2 152 |
Irak |
33 |
|
|
3 500 |
Égypte
Au 1er trimestre 2010[8], nous évoquions la situation de Mobinil. France Télécom a du débourser près de 300 millions d’euros pour mettre fin à la querelle qui l’opposait à Orascom (depuis passé sous le contrôle du Russe Vimpelcom) et prendre le contrôle du FAI Linkdotnet. La pacification avec Orascom a permis de consolider une part plus importante de chiffre d’affaires dans les comptes du Groupe.
Les récents événements en Égypte, où les opérateurs ont été obligés d’interrompre les activités Internet, puis contraints par le gouvernement d’envoyer des SMS de propagande, montrent la fragilité de la situation.
Liban
Dans les années 2000, France Télécom Mobiles a été mis à la porte du Liban par le gouvernement, même si après arbitrage, 266 millions de dollars ont été obtenus en dédommagement.
France Télécom est resté présent au travers d’une participation de 40% chez Sodetel, un fournisseur d’accès.
Jordanie
Orange Jordanie est le nouveau nom de Jordan Télécom, l’opérateur historique dont Michel Bon avait fait l’acquisition. France Télécom est actionnaire à hauteur de 51%.
Le passage sous la marque Orange a été bien géré malgré l’existence d’une licence Orange en Israël. L’opérateur a réalisé un chiffre d’affaires de 428 millions d’euros en 2010.
Irak
France Télécom a fait l’acquisition de 20% de Korek Télécom, fondé en 2000 par Sirwan Mustafa, son actionnaire unique et par le neveu de Massoud Barzani, président de la région autonome du Kurdistan irakien. En 2007 l’opérateur obtient une licence nationale. Il compte un peu plus de trois millions de clients. Ses principaux concurrents sont Zain-Barthi avec près de 11 millions d'abonnés et Asia Cell, avec 8 millions d'abonnés.
Le montant élevé de cet investissement en Irak trouve sa justification dans les synergies attendues avec Orange Jordanie, la Jordanie et l’Irak partageant une frontière commune. De plus Korek, implanté historiquement au Kurdistan et dans le Nord du pays, est titulaire d’une licence mobile. Il sera plus facile pour France Télécom de déployer des infrastructures internationales et de bénéficier du soutien de l’opérateur voisin. Il n’y a donc plus de raison de candidater à une 4e licence mobile en Irak.
Syrie
France Télécom a été candidat à la 3e licence mobile en Syrie. Un développement qui aurait tout son sens, fort de l’implantation nouvelle en Irak. France Télécom a aussi montré son intérêt pour l’opérateur historique dont la privatisation a été un temps envisagée. Mais la tragique situation politique ne peut que différer ces opérations.
Bahreïn
Le Groupe est présent à travers sa filiale Jordan Telecom Group qui possède 51 % de Lightspeed Communications, un des premiers opérateurs alternatifs de télécommunications pour les lignes fixes à Bahrein, offrant des services à large bande et innovants. Cette jeune société est spécialisée dans les services internet tels la voix sur IP, la vidéo à la demande, la sécurisation des bases de données de ses clients. Elle a été le premier opérateur à lancer le Double Play à Bahrein.
Sofrecom
L’activité de Sofrecom est moins connue : cette filiale intervient comme conseil pour l’opérateur historique en Algérie, en Lybie, en Syrie, au Yémen, ou encore en Iran pour la mise en place du 3e opérateur mobile, en Ethiopie pour l’extension du GSM. Elle intervient en direct ou via sa filiale Sofrecom Dubaï.
Coactionnaire dans le Golfe
France Télécom est coactionnaire avec Etisalat de Soft@home. Soft@home est la société historiquement créée avec Thomson et Sagem pour développer des plateformes logicielles pour les boxes. Etisalat est un opérateur des émirats disposant de plus de 100 millions de clients,
Le choix de partenaires koweïti en Irak démontre à l’évidence les relations privilégiées qu’entretient FT avec les pays du Golfe. Prélude à des rapprochements capitalistiques ?
Un réseau de câbles internationaux
La position de France Télécom dans la pose des câbles (au travers de FT Marine) et son réseau international issu de Sita (Equant) lui permettent de valoriser immédiatement son déploiement international. Cette connectivité est une source de revenus importante au titre des appels internationaux.
Par exemple, la continuité géographique de ses positions permet de relier Paris à Bagdad avec un câble appartenant à France Télécom.
Une stratégie globale ?
La Direction de France Télécom proclame qu’elle s’implante dans des pays dit émergeants pour soutenir la croissance du chiffre d’affaire du groupe. Pour autant, France Télécom n’est présent dans aucun des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine).
France Télécom est souvent associé à des partenaires locaux, ce qui entraîne des relations complexes, comme l’ont démontré les conflits avec Orascom en Égypte ou plus récemment la situation en Tunisie.
France Télécom entend faire passer sous la marque Orange toutes les activités des entreprises dont il est actionnaire. Ce qui n’est pas toujours aisé compte tenu des particularismes locaux et de l’attachement des clients à leur opérateur.
La rentabilité en question
Nombre des pays où le Groupe est implanté sont sérieusement secoués par les révolutions (Tunisie, Égypte, Cote d’Ivoire). Si l’impact sur le CA ne s’est pas fait sentir en 2010, il n’en sera pas de même en 2011.
Malgré le projecteur jeté sur les pays émergeants, il convient de rappeler que les activités de France Télécom s’organisent comme suit :
1er cercle : France (50% du CA)
2ème cercle : Europe (30% du CA)
3ème cercle : le pourtour méditerranéen
La Direction de France Télécom se préoccupe de développer le 3ème cercle, en délaissant trop souvent la France, et alors qu’il faudrait redresser la situation en Europe où la marque Orange n’est pas bien installée.
Une stratégie difficile à comprendre, sans doute dictée par le versement répété de dividendes supérieurs aux bénéfices nets, qui entravent les investissements !
[1] http://www.cfecgc-unsa-ft-orange.org/201010181402/lettre-epargne-et-actionnat/lettre-epargne-a-actionnariat-salarial-3eme-trimestre-2010.html
[2]http://www.latribune.fr/depeches/associated-press/tunisie-licence-de-telephonie-pour-divonaorange-france-telecom-pour-136-millions-d-euros.html
[4]http://www.challenges.fr/actualites/monde/20110119.CHA2357/stephane richard sexplique sur orange tunisie.html
[5]http://intranet.com.ftgroup/sites/press/reviews/The%20daily%20Press%20Review%202011-05-12/a 005.pdf
[6] En milliers - Source : KPIs France Télécom Group - T4 2010 ou T1 2011 http://www.orange.com/fr FR/finance/investisseurs/res-consolides/res-q1-110503.jsp
Irak : source opérateur Korek
[7] En millions - Source : Wikipedia - mai 2011