Rien de nouveau sur la planète Orange " Bilan 2023 des signalements de Harcèlement, Sexisme et Violence au Travail "
Rédigé par Karine RIEUX le . Publié dans Egalité Professionnelle - Diversité - Discrimination.
Pour la 3ème année, la Direction a présenté le 9 avril 2024, à la Commission de Prévention des Risques Professionnels et Promotion de la Santé au Travail, son bilan des signalements déposés en 2023 « Harcèlement, Sexisme et Violence au Travail », HSVT.
Trois années successives, trois bilans sans évolution notable
Le nombre total de signalement déposé connaît une légère hausse de + 7 alors que les effectifs diminuent. En quelques chiffres :
- Effectifs 2022 : 62% d’hommes, 38% de femmes
- 157 signalements HSVT en 2023 (150 en 2022)
- 58% des signalants sont des femmes, 9% de signalements par des collectifs
- 66% de femmes victimes présumées, 12 % de collectifs victimes présumés
- 66% d’hommes mis en cause
157 signalements pour près de 65 000 salariés semble être un chiffre très bas et non représentatif de la réalité des violences au travail en France, en comparaison des données issues d’enquêtes conduites par la DARES ou l’IFOP.
L’enquête Dares, menée sur les conditions de travail en 2016 en France, met en lumière une exposition aux facteurs de risques psychosociaux de 15 % des femmes et 9% des hommes, cadres et professions intermédiaires, suite à des agressions verbales, physiques ou sexuelles de la part de collègues ou supérieurs hiérarchiques au cours des 12 mois précédents.
Plus spécifiquement en matière de Violences Sexistes ou Sexuelles au Travail VSST, le Défenseur des Droits a commandité plusieurs enquêtes réalisées par l’IFOP, en 2014 et 2021.
- 64% des Français déclarent fréquent de travailler dans un environnement avec des blagues à caractère sexuel,
- 80% des femmes sont confrontées au sexisme au travail,
- 30% des femmes déclarent avoir déjà subi du harcèlement sexuel au travail,
- 14% des femmes déclarent avoir subi une agression sexuelle au travail.
Dans l’enquête menée en 2021 par l’Association française Gestion Financière, nous retrouvons des chiffres similaires et 40% des hommes ont déjà entendu des phrases dénonçant leur non-conformité aux codes de la virilité.
A Orange, aujourd’hui encore, nos collègues salariés se signalent très peu. Et ce, quel que soit leur genre ou la nature de la violence subie. Les causes peuvent être multiples et variables pour chaque salarié victime.
Chacun trouvera une raison d’alerter ou pas :
- la peur de dire, de dénoncer
- la crainte de représailles
- le manque d’information sur le processus de signalement en place et de la suite donnée au signalement
- l’absence de confiance dans le dispositif ou dans les acteurs, les dispositions prises à la suite de l’enquête…
Si nous voulons que les salariés se sentent en confiance pour témoigner des faits subis, le discours porté par la Direction doit être exemplaire. Elle se doit d’assurer à chaque salarié présumé victime un accompagnement en toute neutralité et impartialité.
Pour la CFECGC Orange, cet accompagnement nécessite la participation des représentants de l’employeur et des représentants du personnel à des enquêtes paritaires. Le Code du travail stipule que l’impartialité doit être garantie lors des enquêtes et le Ministère du Travail préconise cette parité.
A Orange, lorsque le signalement est réalisé auprès d’un représentant de l’employeur, la direction n’informe pas systématiquement les Instances Représentatives du Personnel. En 2023, le signalement a été pris en charge par la ou le DRH de l’entité et le traitement de la situation réalisé en investigation directe dans 57% des cas (90 signalements traités ainsi).
Dans une investigation directe, nous sommes très loin d’une enquête paritaire ! La DRH décide de lancer une enquête ou de garder sa prérogative d’entendre les parties, les témoins, les personnes proches (collègues, manager…).
Au terme de sa démarche, elle donnera ses conclusions et déterminera les mesures à prendre, si sanction ou pas. Des conclusions qui interrogent la neutralité de cette démarche et les chiffres 2023 parlent d’eux-mêmes.
Seulement 22% des signalements pris en charge (34 signalements) relèvent d’une situation de Harcèlement, Sexisme ou de Violences au Travail selon la Direction. Et parmi ces 34 signalements HSVT, 13 sont classés comme Violences Sexistes ou Sexuelles.
Plus de la majorité des signalements, 62% relèvent de « relations interpersonnelles », « défaut de management » ou « insubordination ».
Vos élus dénoncent cette prise en charge. La Direction ne peut pas afficher une politique de « Tolérance zéro » et dans les faits, ne pas mettre en œuvre les moyens nécessaires pour la décliner.
En conclusion sur ce bilan 2023
Nous déplorons encore des signalements qui ne sont pas pris en charge dans le délai légal ou dont le traitement reste opaque.
Nous demandons à la Direction de respecter l’ « Accord relatif au harcèlement et à la violence au travail » pour la Branche Télécommunications, signé en 2011. Il détermine un délais maximum de 2 mois pour mener l’enquête dont la procédure doit être appropriée et concertée avec les IRP.
De plus, le nombre de signalements reste très faible par rapport à la population de l’entreprise. Nous nous interrogeons sur les moyens mis en œuvre pour sensibiliser, former et sur la confiance également témoignée par les salariés sur la prise en charge d’un signalement, sur son traitement et les décisions prises à la suite.
La Direction doit être exemplaire dans le traitement impartial des signalements et transparente dans la communication des conclusions, des décisions prises à la suite de l’enquête, auprès des différentes parties concernées. Une politique de « Tolérance zéro » affichée, c’est bien. La mise en pratique de celle-ci au quotidien sur le terrain, c’est mieux !
Zoom : Investir dans une prévention primaire efficiente des VSST
Aujourd’hui, la Direction classe les Violences Sexistes ou Sexuelles au Travail dans le champs généraliste du Document Unique « Conflit, harcèlement, discrimination, violence au travail ». De ce fait, elle les minimise voire les rend invisibles.
Les Violences Sexistes et sexuelles sont aujourd’hui identifiées comme un risque professionnel à part entière dans le Code du travail. Elles doivent être évaluées indépendamment des autres violences au travail (RPS, harcèlement moral ou autres violences physiques) et non abordées comme des comportements inappropriés ou la conséquence de relations inter individuelles.
Si certains facteurs individuels exposent les personnes aux situations de HSVT au travail (être une femme, être jeune ou senior, être en situation de monoparentalité ou célibataire, avoir un handicap…), des facteurs de risques organisationnels surexposent davantage dans certains secteurs, métiers ou postes que d’autres (faible degré de mixité, statuts précaires, relation client, horaires atypiques, lien de subordination…).
« Différencier n’est pas discriminer »
Comme le stipule l’article L. 4121-3, nous demandons une évaluation de « l’impact différencié à l’exposition aux risques en fonction du sexe » dans le Document Unique.
Le Sénat l’a rappelé dans son rapport d’information « Santé des femmes au travail : des maux invisibles » de juin 2023, dans lequel il préconise de « chausser systématiquement les lunettes du genre ».
Aujourd’hui, nous n’y sommes clairement pas à Orange !
Vos élus CFECGC Orange demandent à la Direction...
Dans la prise en charge des signalements :
- de réaliser des enquêtes paritaires pour assurer la neutralité de traitement
- de communiquer auprès des salariés sur le processus d’enquête (Anoo, Pushmail) pour gagner en transparence et en confiance
- de respecter le délai d’instruction de 2 mois maximum
Pour prévenir les situations de VSST :
Tel que préconisé par l’ANACT, nous demandons également l’intégration dans le DU des facteurs de risques organisationnels qui surexposent aux VSST sous leurs quatre aspects :
- L’organisation de travail (faible degré de mixité, activité sous pression des délais, basée sur l’esprit de compétition…).
- Les conditions d’emploi et de travail (statuts précaires, relation client, lien de subordination…).
- Les collectifs et relations de travail (fonctionnement très ou pas hiérarchisé, rapports sociaux ritualisés avec par exemple after-work, moment de convivialité…).
- Et les conditions d’articulation des temps (horaires atypiques : matin et soir, le travail de nuit ou le WE, déplacements professionnels impliquant nuitées et célibat géographique…).
Comme cela est déjà le cas sur le périmètre d’OBS SA, les élus CFECGC Orange demandent que la Direction informe « trimestriellement la commission SSCT Centrale des signalements de harcèlement selon leur nature et de manière anonyme par établissement distinct » et qu’elle « partage les situations relatives au harcèlement sexuel ou agissements sexistes avec les référents HAS des CSE au vu d’engager un plan d’action et/ou de communication ».
Ils demandent également qu’une analyse fine soit lancée, à la maille de chaque CSSCT avec l’ensemble de ses membres, afin qu’une prévention primaire soit réalisée en pertinence avec les facteurs de risques organisationnels présents, qui n’auront pu être éliminés à la source.
Conditions de Travail et Santé Egalité Professionnelle Responsabilité Sociale et Environnementale